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Georges Dorignac (1879-1925). Le trait sculpté

Il est des artistes oubliés qui méritent d’être remis en lumière. Georges Dorignac (1879-1925) est de ceux-là. La dimension sculpturale de ses grandes figures « au noir », la massivité des formes de ses visages et corps (essentiellement féminins), la force du trait, et une certaine étrangeté, captivent le regard et frappent l’imagination. À l’encre, à la pierre noire, au fusain ou au lavis, le relief surgit de ces têtes et de ces corps de paysannes et travailleuses des mines marqués par l’effort physique, comme de ces plantureux nus féminins, tous mis en page de façon radicale : la totalité de la feuille blanche est occupée par le dessin contraint dans son cadre, sans contexte ni décor. Les têtes sont baissées, les paupières souvent closes. Des œuvres silencieuses, issues des « trésors de mes rêves », écrit ce peintre de l’austérité, qui voyage peu, prend le plus souvent ses modèles dans son cercle familial, ne recherche ni la gloire, ni l’argent.

L’exposition présentée à la Piscine à Roubaix se concentre sur cette série de sombres compositions exécutées entre 1911 et 1914 par Dorignac, alors âgé d’une trentaine d’années. Elle recèle des chefs-d’œuvre, tel ce somptueux Nu noir de face (1913), qui évoque la statuaire africaine. Regardez le bien lors de votre visite : d’abord on ne voit qu’un monolithe couleur ébène, mais en s’approchant, on distingue le contour d’un visage baissé, les grands yeux mi-clos, et comme un étrange et simiesque visage se dessinant sur le ventre. Étonnante aussi la posture de ces deux femmes accroupies, l’une de profil, l’autre penchée en avant (visuel ci-contre), faisant ressortir la puissance des musculatures. « De lourds dessins qui imitent le bronze », écrira le critique d’art Gustave Coquiot (1865-1926). Des œuvres sculptées qui feront même s’interroger Rodin, demandant si Dorignac fait aussi de la sculpture. Ce n’est pas le cas, renforçant d’autant l’originalité plastique de son art graphique.
Face à tous ces noirs profonds, on pense à Francesco de Goya et ses peintures noires réalisées entre 1819 et 1823, à Odilon Redon et ses fameux noirs au fusain des années 1875-1885. Et même quand Dorignac s’empare de la sanguine, il conserve la monumentalité et la dignité des figures, les cadrages serrés.

C’est à partir de 1910, à Paris, à la Ruche, que Georges Dorignac débute sa carrière, entouré d’artistes comme Soutine, Zadkine, Brancusi et Modigliani. D’abord avec des peintures et aquarelles très colorées, influencées par Renoir et Signac. Mais très vite, il abandonne la couleur pour le fusain et la sanguine, se concentrant sur cette fameuse œuvre dite noire, ténébreuse, expressionniste, voire misérabiliste, accueillie très positivement par la critique.
Étonnamment, Dorignac ambitionnait dans sa jeunesse de devenir décorateur. Démobilisé pour raison de santé en 1914, il va alors entreprendre des projets pour des tapisseries, des vitraux ou des mosaïques ; d’immenses compositions d’inspiration byzantine, égyptienne ou persane, qui surprennent par leurs couleurs et la multitude de détails aux formes naïves ou teintées d’archaïsme, et qu’on a bien du mal à attribuer au même artiste.

Conçue et réalisée par la Piscine en co-production avec le musée des Beaux-arts de Bordeaux (ville natale de Dorignac), où elle sera présentée du 18 mai au 17 septembre 2017, l’exposition réunit près de 90 œuvres provenant de collections publiques et privées. Une belle révélation à la Piscine de Roubaix qui entame d’importants travaux d’extension du musée (2016-2018). Plus de 2000 m2 supplémentaires pour raconter l’histoire de Roubaix, déployer ses expositions temporaires et dédier un espace spécifique au Groupe de Roubaix.

Catherine Rigollet

 


 Catalogue : 248 pages. 29€

Visuels : Georges Dorignac, Nu, 1912. Fusain, craie noire sur papier, 51,2 x 44,5 cm. Bordeaux, Musée des Beaux-Arts. Photo : L. Gauthier, F. Deval.
Georges Dorignac, Femme assise aux sabots, vers 1918. Fusain sur papier, 73,7 x 89,5 cm. Bordeaux, Musée de Beaux-Arts. Photo : L. Gauthier, F. Deval.
Georges Dorignac, Femme accroupie, penchée en avant, vers 1913. Pierre noire et lavis sur papier. 55,7 x 44 cm. Photo : L’Agora des Arts.
Visuel vignette : Georges Dorignac, Portrait de femme au chignon, 1913-1914, (détail). Pierre noire et lavis de noir, 56 x 44 cm. Paris, galerie de Bayser. Photo Galerie Malaquais, Paris / Laurent Lecat.

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 19 novembre 2016 au 5 mars 2017
La Piscine – musée d’art et d’industrie André Diligent
23, rue de l’Espérance
59100 Roubaix
Du mardi au jeudi, de 11h à 18h
Vendredi, jusqu’à 20h
Samedi et dimanche, de 13h à 18h
Fermé 25 décembre et 1er janvier
Billet couplé expositions et collections permanentes : 5,5€/4€
Tél. 03 20 69 23 60
www.roubaix-lapiscine.com