Gérard Garouste n’a jamais cru à la peinture comme simple processus de représentation. Un tableau renferme toujours du sens, même si, comme chez Garouste, il ne saute pas aux yeux, tellement ce dernier truffe ses œuvres de symboles et de références complexes à l’histoire, la religion, l’art, la mythologie, mais aussi ses douloureux souvenirs d’enfance, ses obsessions, ses délires…Dans cette récente série, Garouste se plonge dans l’univers des mythes et des contes du monde qui traversent les siècles et sont universels parce qu’ils tournent tous autour de la même quête de l’individu, pour évoquer le rapport au temps, aux autres et à la connaissance. Des questions qui hantent depuis toujours l’œuvre de cet artiste, qui refuse que l’art d’aujourd’hui fasse table rase du passé, perde de son humanité, de sa part de mysticisme et d’émotions au profit de la perfection technique, de la modernité comme but ou de l’art pour l’art.
Dans un bouillonnement d’images explicites ou subliminales, toujours hautes en couleur et en maniérisme des formes, on retrouve pêle-mêle l’iconographie chrétienne, le Talmud, les contes de la tradition ashkénaze, Don Quichotte, les fables de la Fontaine, les contes de Rabelais et même la BD avec Tintin et des allusions aux Cigares du pharaon et au Lotus bleu. Garouste y intègre un vocabulaire récurrent dont il se délecte. L’âne et sa sagesse légendaire. Le damier qui évoque le jeu, mais aussi le drapeau de la course automobile comme dans Le lièvre et la tortue à l’envers. Le nid, tiré du Talmud dont un verset très énigmatique dit : « Si par hasard en chemin tu rencontres un nid d’oiseaux, tu chasses la mère, tu prends les enfants, la vie sera meilleure pour toi et tes jours seront prolongés » ; un nid dont Garouste coiffe la tête d’un Rabbin, niche dans une vanité, pose sur la tête de son chien, ou fait trôner sur un plat comme s’il flottait sur la mer (mère) dans un infini jeu de mots.
Les références à l’histoire de l’art « un grand chantier d’archéologie, riche de potentialités inexplorées et de messages subliminaux ignorés », sont prégnantes chez Garouste, des paysages romantiques évoqués dans ce St-Hubert et le nid d’oiseaux aux personnages en contre-jour sur fond de coucher de soleil, au lièvre de Dürer, en passant par le retable d’Issenheim de Grünewald. Cette exposition d’une trentaine de grandes toiles présente aussi de nombreuses sculptures en bronze, toutes aussi complexes que les tableaux de l’artiste, tel ce Don Quichotte a plusieurs profils, ce visage rongé par la Médisance ou ce corps au ventre perforé par l’Inceste. Si Garouste est peintre « donc muet », son œuvre, d’une grande puissance à la fois formelle et sémantique, parle, à qui prend le temps d’écouter.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : La Danse et les pies, 2013, Huile sur toile 160 x 130 cm. Courtesy Galerie Daniel Templon, Paris & Bruxelles. Photo B.Huet/Tutti.
Visuel page d’accueil : Le lièvre et la tortue à l’envers, 2013, 162 x130 cm. Le Centaure et le nid d’oiseaux, huile sur toile, 2013, 194,5 x 160 cm. Inceste, 2013, bronze, 60 x 50 x 34 cm.