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Giorgio de Chirico. Aux origines du surréalisme belge, Magritte, Delvaux, Graverol

Dès 1920, Giorgio de Chirico (1888-1978) avait séduit les Surréalistes avec sa peinture “métaphysique” ; terme employé par Apollinaire en 1913. Inspirés par l’ “inquiétante étrangeté” de ses toiles, ils en firent l’un des leurs. Mais il suffit que de Chirico “régresse” vers la peinture classique à partir de 1926 pour qu’André Breton l’élimine de son cercle. Peu importe, de Chirico qualifiera beaucoup plus tard le surréalisme de mouvement « sans aucune valeur ». Cette exposition d’une quarantaine d’œuvres du peintre italien, accompagnées de toiles de René Magritte, Paul Delvaux et Jane Graverol, une artiste peu connue que l’on a plaisir à découvrir, nous apprend que les surréalistes belges, eux, continuèrent à explorer le monde onirique, illogique et poétique sur lequel de Chirico avait ouvert une large fenêtre, même après un épisode classique et un retour à une période néo-métaphysique où il reprenait, avec une touche de kitsch, ses thèmes et motifs du début.

Magritte (1898-1967) découvre de Chirico en 1924 avec une reproduction de Chant d’amour, 1914 (aujourd’hui au MoMA de New York). « Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois », dira-t-il plus tard. Recherchant le “mystère du monde”, il s’inspirera des mises en abyme visuelles de de Chirico pour peindre le caractère illusoire de la réalité mais travaillera sur un monde souvent plus sombre, voire macabre. Dix ans plus tard, Delvaux (1897-1994) est séduit à son tour par « la poésie du silence » de huit œuvres de de Chirico qu’il voit dans une exposition parisienne. Se démarquant des couleurs chaudes, il usera de camaïeux de gris pour ses mondes rêvés dans lesquels il reprend les architectures antiques, les trains, les ombres, constituant un décor désolé pour des femmes indifférentes. Si Jane Graverol (1905-1984) est mêlée aux surréalistes belges, la critique détecte l’influence « chiriquienne » dans la poétique étrangeté de ses petits tableaux, illusoirement réalistes.

L’exposition, sobrement accrochée sur des murs moutarde, rouge sombre ou bleu crépusculaire, confronte les tableaux des quatre artistes suivant des thématiques identifiables. Que ce soit les places d’Italie désertées et mélancoliques (de Chirico : Place d’Italie, 1916 ; Delvaux : Palais en ruines, 1935), les mobiliers dans les vallées (de Chirico : Mobiliers dans la vallée, 1928 ; Graverol : Le cortège d’Orphée, 1948), ou les intérieurs métaphysiques occupées par des objets hétéroclites “antagonistes”. L’antiquité (mythologie, statuaire, architecture) est une source inépuisable pour trois des quatre artistes : de Chirico a vécu enfant en Grèce, il cherche à combler le fossé entre antiquité et modernité, transformant les organes de ses personnages en bâtiments antiques (Les archéologues, 1927) ; Delvaux l’utilise pour le décor dans lequel évoluent ses femmes marmoréennes ; Graverol la transporte dans la modernité (The suffering of Sapho, 1951).

Moins souvent exposés sont les tableaux de de Chirico, devenu “Pictor classicus”, déçu par un art moderne qu’il juge décadent. Portraits (Autoportrait dans un parc en costume du 16e siècle, 1959), nature mortes, gladiateurs occupent ses toiles, lui permettant un apprentissage renouvelé de sa technique picturale et de son dessin. Le rêve occulté, on passe assez vite.
L’exposition bien illustrée nous offre le de Chirico poétique, original, anti-moderne qui nous est familier, et nous apprend aussi qu’il fut longtemps l’inspirateur et influenceur des trois surréalistes belges.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Giorgio de Chirico, Les archéologues, 1927, huile sur toile, 132,6 x 105,3 cm, Galleria Nazionale d’Arte Moderna e Contemporanea, Rome photo Antonio Idini © SABAM Belgium 2019.
Giorgio de Chirico, Mobiliers dans la vallée, 1928, huile sur toile, 82 x 100 cm, Nahmad Collection © SABAM Belgium 2019.
Giorgio de Chirico, Place d’Italie avec statue, ca 1965-1970, huile sur toile, 40 x 41,5 cm, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris © Musée d’Art Moderne/Roger-Viollet © SABAM Belgium 2019.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 16 février au 2 juin 2019
BAM, Beaux-Arts-Mons
8, rue Neuve, 7000 Mons, Belgique
Du mardi au dimanche, de 10h à 18h
Entrée : 9 €
www.bam.mons.be