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Gustave Moreau. Vers le songe et l’abstrait

Au cœur d’un sombre empâtement, des taches ocres et blanches crèvent la toile. Puis, tout en haut, on aperçoit deux petits coups de pinceau bleu, comme une aube en train de se lever, avant de distinguer enfin, tout en bas à gauche de la composition, la silhouette d’un homme agenouillé tenant une croix. Cette Vision (huile sur bois) de Gustave Moreau (1826-1898) est exemplaire non seulement de la peinture introspective chère à ce peintre symboliste, mais d’une partie peu connue de son processus créatif : les ébauches proches de l’abstraction, des œuvres à l’huile ou à l’aquarelle préparatoires -ou pas- à ses peintures.

Sa maison-atelier, devenue musée en expose près d’une centaine, peintures et aquarelles, dont certaines, conservées dans « le placard aux abstraits » sont montrées pour la première fois. Devant chacune on s’interroge : esquisse, essai de couleur ou œuvre autonome ? Les historiens de l’art tergiversent depuis de nombreuses années sur ces œuvres non figuratives (et jamais datées) qui semblent anticiper l’art du XXe siècle. Dans les années 1950, même André Breton et ses proches sont fascinés par Moreau, ce maître de Matisse et de Rouault qui reste à leurs yeux un grand inconnu.

Si la réponse reste parfois en suspens devant certaines œuvres, quand elles ne font pas clairement allusion à des peintures figuratives abouties, rien n’indique non plus que Moreau ait voulu faire de manière délibérée une œuvre abstraite, au sens contemporain du terme. « Les termes « abstrait » et « abstraction » apparaissent à plus d’une reprise dans les écrits de Moreau », écrit Dario Gamboni dans le catalogue de l’exposition. « Ils n’y sont pas opposés à « figuration » ou « représentation », comme on pourrait s’y attendre dans une perspective moderniste, mais à l’imitation (dans un sens réaliste) et à la narration ». Le XIXe siècle et même les précédents sont riches de tel procédé de peinture informelle. On pense au Pays merveilleux d’August Strindberg (1894), ou à la Tentation de saint Antoine de Filippo Napoletano, une peinture sur pierre du XVIIe siècle. Deux œuvres reproduites dans le catalogue.

Alors, est-on au-delà de l’abstrait ou en deçà de la figuration ? Finalement qu’importe. En simple amateur d’art, on finit par ne plus s’interroger, par souhaiter que les peintures de Gustave Moreau gardent leur mystère pour ne contempler que ces effets de pure peinture. La virtuosité des compositions et des champs chromatiques que Moreau admirait chez les maîtres flamands nous éblouie. Comme dans cette série de Plantes marines (ébauches pour Galatée ?), ce paysage abstrait (prélude au Triomphe d’Alexandre le Grand), cette ébauche (pour Salomé ?) ou encore cette admirable Tentation de saint Antoine, un tourbillon de couleurs proche de l’expressionnisme abstrait. Si le saint ermite, à peine esquissé, y est en proie à des visions fantastiques, nous aussi.

Catherine Rigollet

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 17 octobre 2018 au 21 janvier 2019
Musée Gustave Moreau
14, rue de la Rochefoucauld
75009 Paris
Tous les jours, sauf mardi
De 10h à 18h
Tarifs : 7€/5€
Tél. : 33 (0)1 48 74 38 50
www.musee-moreau.fr


 Catalogue, coédition musée Gustave Moreau-Somogy éditions d’art. 192 pages. 140 illustrations. 29 €.


Visuels :

 Gustave Moreau, La Vision. Huile sur bois, 32 x 25 cm. Photo © L’Agora des Arts.

 Gustave Moreau, Ébauche. Plantes marines pour « Galatée » ? Huile sur carton, 45 × 54,8 cm. Photo © L’Agora des Arts.

 Gustave Moreau, Ébauche. Huile sur bois, 21,3 x 27 cm. Photo © L’Agora des Arts.