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Guy Debord. Un art de la guerre

À partir du moment où les archives de Guy Debord (1931-1994) ont été classées « trésor national » puis acquises par la BNF en 2011 pour la coquette somme de 2,7 millions €, réunie par des mécènes et donateurs, au nez et à la barbe d’une institution américaine, l’hypothèse d’une exposition de cet important fonds documentaire ne faisait plus de doute. Au risque de « muséifier » l’œuvre et les contributions invasives à l’histoire de son temps d’un homme difficilement qualifiable (stratège, joueur, écrivain engagé, poète, cinéaste, philosophe, bon vivant, révolutionnaire, visionnaire ou bien « trouvère-guerrier de ce temps » comme il se définissait entre autres ?), même s’il est publiquement connu au moins comme fondateur de l’Internationale situationniste (1957-1972) et auteur de La Société du spectacle (1967), et surtout ô combien réfractaire à toute forme de récupération spectaculaire. Ce paradoxe, dans la relation dialectique subtile et ironique que Debord entretenait avec le monde et les hommes, il l’avait déjà envisagé dans un texte écrit après 1984 et resté inédit jusqu’à aujourd’hui : « Le singulier paradoxe qu’aura été M. Debord dans son temps, quoiqu’il puisse valoir, ne vaut que tant que celui-ci est vivant. Car quand il sera mort le système spectaculaire le récupérera à son gré, ou plus probablement, l’enterrera. » (*) Car, le mode de vie de Debord, entre aventure collective et quête personnelle du bonheur, passant de l’art à la politique, échappant à tout contrôle, entre clandestinité créative et anonymat assumé, réitérant régulièrement par l’écrit et par l’image sa volonté de miner le monde tel qu’il allait, n’a cessé de faire bruisser la sphère intello-médiatique, surtout à partir de mai 68 où les thèses et actions situationnistes dans leur radicalité furent au cœur de la révolte avortée. Cependant son souci du classement et de l’archivage, « l’art de la mémoire », peut laisser à penser que Guy Debord n’était pas complètement rétif à une certaine postérité de sa pensée et de ses actes.
Les deux commissaires de l’exposition, Laurence Le Bras et Emmanuel Guy, s’expliquent sur sa raison d’être : « Ce temps, celui de sa vie, ses archives incitent à le relire, à en parcourir l’histoire à ses côtés, pour comprendre ce qui a été cherché - car l’empêchement volontaire de toute postérité ne laisse finalement de place qu’aux buts poursuivis, soumis à notre propre capacité à garder les yeux ouverts. » Inspirée du Jeu de la guerre (un des cinq exemplaires fabriqués est d’ailleurs une des pièces rares de cette exposition), imaginé dès 1956 par Debord et codifié dix ans après, la scénographie s’enroule autour d’un cœur « atomique » central, le cabinet de lecture de Guy Debord composé de 600 fiches de lecture (sur 1400 archivées) accrochées dans de hautes colonnes de plexiglas. C’est l’arsenal où l’on découvre pour la première fois les munitions avec lesquelles Debord a façonné, en les détournant ou en les utilisant simplement comme matériau à concepts, son « art de la guerre », selon le titre de l’exposition qui ne manque pas aussi de faire penser à L’art de la guerre de Sun Tzu, un de ces penseurs stratégiques que Debord goûtait fort. Car le combat pour une autre façon de vivre et une transformation du monde commence là : « Pour savoir écrire, il faut avoir lu, et pour savoir lire, il faut savoir vivre », a-t-il écrit dans Thèses sur l’Internationale situationniste et son temps (1972). Le reste de l’exposition suit un parcours chronologique nécessaire, même si on peut le juger banal, parmi les manuscrits, extraits vidéos et sonores, courriers, affiches, photographies, œuvres plastiques et tracts, la plupart des pièces, au moins celles qui émanent directement de Debord, montrant sa rigoureuse méthode, son exigeante radicalité et l’incroyable ténacité d’un combat qui aura duré une vie, de ses premiers pas de lettriste aux écrits « rétrospectifs » de la fin de sa vie ( Panégyrique I et II). On y croise aussi ses compagnons d’armes, souvent abandonnés sur le bord du chemin, les étapes de sa réflexion, et les traces d’un combattant épris de poésie et d’action, d’un amoureux absolu de la vie en somme, mais pas de la vie telle qu’elle est imposée par la société du spectacle, cette notion désormais galvaudée, dont Debord a démonté très tôt les rouages. D’ailleurs, dans une salle terminale sont projetés les films de Debord, dont In girum imus nocte et consumimur igni (1978), sans doute le plus « sensible » pour sentir et apprécier sa destinée. « Quant à moi, y dit Debord, je n’ai jamais rien regretté de ce que j’ai fait, et j’avoue que je suis encore complètement incapable d’imaginer ce que j’aurais pu faire d’autre, étant ce que je suis. »

(*) in « Les erreurs et les échecs de M. Guy Debord par un Suisse impartial », texte inédit, catalogue Guy Debord, Un art de la guerre, p. 213, coéditions BnF/Gallimard.

Jean-Michel Masqué

Visuel page expo : Guy Debord, Directive n°1 : « Dépassement de l’Art ». Huile sur toile, 17 juin 1963. Reproduction d’un ektachrome. BnF, dpt. Manuscrits, fonds Guy Debord ( pour l’ektachrome ). Guy Debord, La Société du spectacle. Paris, Éditions Champ Libre, 1971. Imprimé. BnF, dpt. Manuscrits, fonds Guy Debord.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Guy Debord. Un art de la guerre
BNF
Du 27 mars au 13 juillet 2013
Grande Galerie
BnF I François-Mitterrand
Quai François-Mauriac – 75013 Paris
Du mardi au samedi 10h-19h
Dimanche 13h-19h
Fermé lundi et jours fériés
Entrée : 7€
www.bnf.fr