Vous consultez une archive !

Henri-Edmond Cross : peindre le bonheur

Difficile d’être peintre et de s’appeler Delacroix quand il y en a déjà un autre, célèbre. Henri Delacroix (1856-1910), va donc devenir Henri Cross (son nom traduit en anglais), et même Henri-Edmond Cross car il y a déjà un Henry Cros, peintre, sculpteur et verrier !
Né à Douai, Cross s’est installé à Paris pour y faire carrière. Cofondateur de la Société des artistes indépendants, affilié au néo-impressionnisme (épithète lancée par le critique d’art Félix Fénéon), il a rejoint le petit groupe des peintres qui tels Seurat, Signac, Luce et Van Rysselberghe peignent par petites touches régulières de couleurs juxtaposées, pulvérisant l’image en milliers de points pour mieux faire vibrer la lumière. Et il nous faut regarder à distance cette mosaïque d’éléments chromatiques qui se fondent selon le principe du mélange optique, pour recomposer le motif, portrait ou paysage. Pour ces artistes, le rendu des vibrations lumineuses prime sur la sensation.

Ouvrant l’exposition rétrospective que lui consacre le musée des Impressionnistes à Giverny, son grand portrait de Madame Hector France (devenue sa femme en 1893), constitue l’acte fondateur du ralliement de Cross au « pointillisme » en 1891. Pourtant, cette même année, après à la mort brutale de Seurat à 31 ans, certains comme Pissarro prédisent la fin de la touche pointillée. C’est compter sans Signac et sans le jeune Henri-Edmond Cross, installé désormais dans le midi de la France, à Saint-Clair, proche du Lavandou et qui adopte résolument cette technique, la faisant évoluer. D’abord par toutes petites touches très régulières (Calanques des Antibois, 1891-92), puis les élargissant progressivement au fil des années (Les Pins sur la plage, 1896 – La Plage de Saint-Clair, 1901). Ses couleurs aussi évoluent, d’abord subtilement mêlées de blanc (Les Iles d’Or, 1891-1892), elles deviennent de plus en plus pures, vives, intenses. Chose surprenante, Cross redoute que ses œuvres soient « incolores ». Alors il simplifie, contraste les tons autant que son audace le lui permet. Sans pour autant rejoindre le fauvisme de Matisse qui séjourne tout près de là, à Saint Tropez et qui s’est de son côté intéressé -très brièvement- au divisionnisme dans son tableau Luxe, calme et volupté (1904), inspiré de l’Air du soir (vers 1893) ; tableau de Cross qu’il a pu voir chez l’artiste au Lavandou.

Paysages arcadiens, nature idyllique (L’Après-Midi au jardin, 1904), nudité des corps libres (La Forêt, deux femmes nues sous les chênes-lièges, 1906-1907), Cross est un peintre dionysien porté par des idéaux anarchistes de ses amis néo-impressionnistes et la lecture de Nietzsche. « Je voudrais peindre du bonheur, des êtres heureux comme pourront l’être dans quelques siècles (?) les hommes, la pure anarchie réalisée… », écrit-il à son ami Signac, le 8 juin 1893. Du bonheur, Cross en a dans le midi. La galerie Bernheim-Jeune l’expose et lui assure un revenu confortable grâce à la vente de ses toiles en France et à l’étranger. Il travaille sans relâche, malgré une santé de plus en plus fragile. Décédé à 53 ans, il profitera peu de son succès. D’ailleurs, comme le souligne Marina Ferretti Bocquillon, commissaire de l’exposition, « la Première Guerre mondiale devait définitivement bouleverser le paysage artistique européen. À l’issue du désastre, le crédo hédoniste de la génération de Cross était devenu obsolète. Une page était tournée ; le temps de Dada et du surréalisme était venu. »

Cette rétrospective de près de 110 œuvres, peintures, dessins et aquarelles fait redécouvrir ce peintre coloriste d’une grande sensibilité qui a trouvé dans le Midi Méditerranéen son idéal de beauté du paysage et de vie en harmonie avec la nature. On se laisse volontiers séduire.

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 27 juillet au 4 novembre 2018
Musée des Impressionnistes
99, rue Claude Monet – 27620 Giverny
Ouvert tous les jours
De 10h à 18h
Tarif plein : 7,5€
Couplé avec Maison et jardin de Monet : 17€
www.mdig.fr


 L’exposition s’envolera ensuite pour Potsdam, au Museum Barberini.


 À voir au musée de Vernon (Eure) : « Lucie Cousturier, peintre néo-impressionniste ». Un hommage à cette femme artiste à la palette lumineuse, amie de Signac et de Luce, injustement oubliée par la critique. Jusqu’au 14 octobre 2018. www.vernon27.fr


Visuels :
 Henri-Edmond Cross, Les Iles d’Or, 1891-1892. Huile sur toile, 59,5 x 54 cm. Paris Musée d’Orsay. © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / H. Lewandowski.
 Henri-Edmond Cross, La plage de St Clair, 1896, collection particulière. Photo L’Agora des arts, juillet 2018.
 Henri-Edmond Cross, Le Cap Layet, 1904. Huile sur toile, 89 x 116 cm. Musée de Grenoble, legs Pierre Collart, 1995 © Ville de Grenoble / Musée de Grenoble – J.L. Lacroix.
 Henri-Edmond Cross, Sous les chênes-lièges, 1908 (détail). Collection Hepama. Photo L’Agora des Arts, juillet 2018.


 L’important catalogue de l’exposition (sous la direction de Frédéric Frank et Marina Ferretti Bocquillon) reproduit toutes les œuvres exposées et contient cinq essais notamment sur l’anarchisme de Cross et sur sa peinture de paysage, ainsi qu’un texte évoquant les maisons de Cross au Lavandou. Ed. Prestel, Munich. 274 pages, 39,95 €