En 2007, Eugène V. Thaw et son épouse Clare E. offraient au musée des Arts décoratifs de New-York : le Cooper-Herwitt, un important ensemble d’aquarelles du XIXe siècle représentant des intérieurs européens - palais, manoirs, hôtels particuliers - de Paris à Londres, de Postdam à Saint-Pétersbourg. Exposés en 2008 dans cette institution américaine, ces quatre-vingt neuf dessins sont montrés pendant quelques semaines en ce lieu enchanteur qu’est le musée de la Vie romantique. « Cet ensemble ne trouve pas son origine dans un tropisme que ses collectionneurs auraient pour l’aquarelle mais pour une quête du confort ou the search of the comfort » souligne Daniel Marchesseau, directeur de ce musée parisien, « c’est un état d’esprit qui est montré à travers toutes ces aquarelles, conduisant le visiteur à l’évasion et à l’imagination. ». Si l’on considère que « romantique » vient de l’anglais romanesq, évoquant à la fois le « Grand tour » en Italie avec Rome mais aussi le goût pour le Moyen-Age, le Gothique et la Renaissance, le 19e siècle incline à la rêverie. L’ensemble de ces feuilles montrent la qualité de l’art de vivre et l’ évolution de l’environnement domestique, la maison. L’on perçoit le volume des pièces, les hauteurs des plafonds, les tableaux, les papiers peints, l’accumulation des mobiliers... . C’est l’avènement d’un savoir-vivre bourgeois avec un goût prononcé pour le confort. Même Le cabinet de travail du roi Louis-Philippe à Neuilly, 1845, par James Roberts, montre le monarque traitant ses dossiers tel un simple bourgeois. Le genre de l’aquarelle se développe grâce à la diffusion du papier vélin, support idéal pour l’aquarelle, et la mise sur le marché de couleurs déjà prêtes à l’emploi. Beaucoup de ces œuvres sont anglaises, allemandes ou russes ; ceci tient à l’art de vivre dans ces pays froids et pluvieux inclinant vers le goût de soigner sa demeure. Ces vues deviennent des portraits d’intérieurs, reflets de la personnalité du commanditaire et sa façon de vivre. Cette représentation peinte de la vie intime, surtout de goût britannique, plait à la jeune reine Victoria : regardons Le salon particulier de la reine au palais de Buckingham, 1848, dans lequel James Roberts brise la solennité du lieu en disposant près de la fenêtre des jouets d’enfants apporteurs d’une touche intimiste. La retranscription des intérieurs fut traitée avec une grande maîtrise par des artistes dont nombre sont peu connus ou parfois même anonymes. Se douterait-on que la grande feuille étourdissante de virtuosité de La bibliothèque de sir Laurence Alma-Tadema à Townsbend House, Londres, 1884, fut peinte par Anna, la fille du peintre, âgée de 16 ans ? Quelle grande économie dans l’aquarelle de Louise Cochelet Le salon de l’artiste sur le lac de Constance, 1816, qu’elle traite dans une ravissante grisaille ? Comme un souvenir Le salon de musique de Fanny Hensel (née Mendelsshon), 1849, Julius Eduard Wilhelm Helfft, nous rappelle que cette femme, sœur du compositeur Félix, tint un salon à la vie musicale intense. N’y aurait-il pas quelque chose de proustien dans cette fixation souhaité du temps, en un éternel souvenir, en regardant ces aquarelles ?
Antoine Prodhomme
Visuel : Anna Alma-Tadema (Angleterre, 1865-1943). La bibliothèque de sir Lawrence Alma-Tadema à Townshend House , Londres, 1884 © Cooper-Hewitt, National Design Museum, Smithsonian Institution, photo Matt Flynn