En 1955, alors que l’Expressionnisme Abstrait américain vit des jours glorieux, le génial directeur du MoMA de New York, Alfred Barr, fait entrer dans ses collections un panneau des Nymphéas. Cette toile devient source d’inspiration pour les peintres américains et le critique Louis Finkelstein appelle “impressionnisme abstrait” cette nouvelle tendance qui sera incarnée, entre autres, par les artistes Sam Francis, Philipp Guston ou Joan Mitchell.
C’est cette convergence que l’exposition, de petite envergure mais à l’accrochage révélateur, illustre, en juxtaposant quelques toiles tardives du maître de Giverny et une vingtaine de toiles américaines, représentatives de l’Abstract Expressionism dans ses diverses nuances (action painting, color field painting).
Alors que les Nymphéas ne suscitent à leur installation en 1927 que critiques négatives, il faut attendre les années 50 pour qu’André Masson exilé aux États-Unis ne les déclare “Sixtine de l’impressionnisme” et que le critique d’art Clément Greenberg intronise Monet comme le précurseur stylistique des Américains. Ceux-ci ont rompu avec la peinture de chevalet traditionnelle, leur peinture gestuelle ne marque plus que des formes estompées et, comme Monet, ils peignent un univers capté au prisme de leurs sensations. Mark Tobey (White Journey, 1956) et Jackson Pollock jouent avec le “all-over”, composition uniforme débordant le cadre (comme les panneaux tardifs des Nymphéas) ; les toiles méditatives de Mark Rothko dans la chapelle de Houston ne seront pas sans rappeler l’installation circulaire des Nymphéas dont Monet rêvait (l’exposition offre trois toiles antérieures de Rothko) ; Joan Mitchell (Sans titre, 1964) substitue à une représentation réaliste de la nature une abstraction gestuelle et colorée pendant que les toiles des années 50 de Philip Guston (Painting, 1954) diffusent une luminosité atmosphérique digne des plus belles toiles impressionnistes.
Monet, inspirateur de l’abstraction américaine, à découvrir avec plaisir.
Elisabeth Hopkins
Visuel : Claude Monet (1840-1926), Saule pleureur, entre 1920 et 1922. Huile sur toile. H. 1.1 ; L. 1. Paris, musée d’Orsay. Donation de M. Philippe Meyer, 2000 © RMN-Grand Palais (musée d’Orsay) / Adrien Didierjean.