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Bâle. Prière de toucher ! Le tactile dans l’art

Après Belle Haleine, exposition thématique autour de l’odorat, Le Musée Tinguely à Bâle poursuit son exploration des cinq sens et leur représentation dans l’art du XXe siècle à nos jours en s’intéressant au phénomène de la perception tactile, balayant, sans prétendre être exhaustif, les œuvres très diverses de soixante-dix artistes ayant exploré ce thème du toucher. Fascinant et souvent dérangeant.

C’est autour de la cécité que s’ouvre -et se referme- le parcours de l’exposition bâloise, PRIÈRE DE TOUCHER, parabolant en deux vidéos (des aveugles qui touchent à tour de rôle un éléphant et des aveugles qui peignent) le vaste champ de questionnements allant du toucher pour voir à l’art du toucher, sans perdre de vue l’essentiel pour le visiteur : être touché par l’art.

Symbolique entrée en matière avec une installation de Jérôme Zonder conçue pour l’exposition. Son couloir d’empreintes et ses dessins de mains constituent une traversée de la cécité à la lumière et nous rappellent que sans main créatrice, nul art ne peut voir le jour, et que c’est par le regard qu’on le saisit ; d’où ce fameux « regard tactile ».

Avant de poursuivre le parcours dans l’art moderne et contemporain, l’exposition fait un bref retour sur la place du motif allégorique des cinq sens dans l’art des XVIe et XVIIe siècle et l’omniprésence dans les pratiques et rituels religieux du toucher qui blesse, guérit ou ôte du doute. Tel l’apôtre Thomas devant toucher les plaies du Christ pour être convaincu de sa résurrection, illustré par ce Doubting Thomas (2013), sculpture automate de Michael Landy ; artiste qui fera l’objet d’une rétrospective, du 8 juin au 25 septembre 2016.

Si dans la première moitié du XXe siècle on est davantage dans le tactilisme soft d’un Marinetti, le toucher sensuel d’une Meret Oppenheim et son fameux Déjeuner en fourrure, ou celui plus érotique de Duchamp (le titre de l’exposition faisant référence à sa couverture créée avec Breton pour le catalogue de l’exposition sur Le Surréalisme en 1947 : une forme en mousse latex reproduisant le sein d’une femme), les années 1960-70 voient émerger des actions et performances beaucoup plus transgressives autour du corps et du toucher. Yves Klein fait se rouler des femmes nues dans de la peinture bleue, puis sur une toile afin de créer des empreintes de leur corps. Francesca Woodman laisse aussi une empreinte de son corps sur de la farine étalée sur le sol avant de la photographier. Hannah Villiger utilisera également son corps comme un matériau inépuisable, le disséquant minutieusement avec un petit polaroïd. Le très fécond cinéaste expérimental américain Stan Brakhage a filmé la naissance de son premier enfant qui vivait là sa première sensation du toucher (Window Water Baby Moving, 1959). Dans la vidéo Pickelporno, 1992, Pipilotti Rist tente de visualiser les sensations sexuelles. Yoko Ono montre un corps nu exploré par des mouches (Fly, 1970). Dans le même esprit, mais plus aventureux, Jeroen Eisinga se laisse recouvrir le visage et le haut du corps de milliers d’abeilles, jusqu’à 150 000 ! (Springtime, 2010-2011).

Ce rapport au corps se fait plus politique et provocateur avec des artistes engagées dans un art corporel féministe comme Marina Abramovic, Gina Pane, Martha Wilson, Carolee Schneemann, Renate Bertlmann ou encore Regina José Galindo dénonçant les violences faites aux femmes dans une performance d’une extrême violence à l’encontre de son propre corps (Perra, 2005). Des œuvres parfois difficilement soutenables.

On touche « seulement avec les yeux » est-il généralement imposé dans les musées. Une injonction qui serait paradoxale dans une exposition sur le toucher dans l’art. Modestement, trois expérimentations tactiles ont donc été intégrées dans le parcours. La première, les yeux bandés, permet d’appréhender les formes de quatre sculptures. La deuxième offre la possibilité au visiteur de manipuler quelques objets (des fac-similés d’une œuvre de Pedro Reyes visible à côté), la troisième vous placera face à un robot « palpeur ». Laissez-vous toucher.

Catherine Rigollet

Visuels : Marcel Duchamp, Prière de toucher. Édition des Ausstellungskataloges zu « Le Surréalisme en 1947 », 1947 Sammlung Hummel, Wien © Succession Marcel Duchamp / 2016, ProLitteris, Zürich ; Foto : Galerie Hummel, Wien.
Anonym, nach Michelangelo Merisi Caravaggio, Der ungläubige Thomas, 1603 – 1650. Radierung. 21,7 x 28,5 cm, Inv. Nr. D 10221. Graphische Sammlung ETH Zürich © Foto : Graphische Sammlung ETH Zürich.
Michael Landy, Doubting Thomas, 2013. Mixed Media Skulptur. British Council Collection. Vue de l’exposition Prière de toucher – Musée Tinguely. 11-2-2016. Photo : l’Agora des Arts.
Jeroen Eisinga, Springtime, 2010 – 2011 - 35 mm Film, in HD übertragen, s/w, ohne Ton. 19:05 min. Courtesy of the artist © 2016, Jeroen Eisinga.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 12 février au 16 mai 2016
Musée Tinguely
Paul Sacher-Anlage 2 – Bâle
Du mardi au dimanche 11 – 18h
Fermé le lundi
Tél. + 41 61 681 93 20
www.tinguely.ch

 

 Conférence : Du 8 au 9 avril 2016, une conférence interdisciplinaire aura lieu autour du sujet « Le tactile dans l’art » afin d’élargir l’approche de l’exposition tout en abordant d’autres domaines scientifiques. Une publication sera publié ensuite avec un résumé de la conférence.

 


 À noter : exposition « Michael Landy. Out of order ». Du 8 juin au 25 septembre 2016.