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Peindre la nuit

Au cœur de l’exposition, une boite de marbre retient un cm3 de nuit, “capturée” dans une vallée du Liban par l’artiste, C.J.H. Boutros, nuit invisible dont on croit percevoir les senteurs, les frissons. On aurait aimé cette œuvre au début de la somptueuse balade nocturne que nous offre l’exposition.

Peindre la nuit, c’est explorer ce double-entendre qui convoque le thème nocturne ou qui joue sur les heures de création. Utilisée comme fond pendant des siècles de scènes religieuses ou mythologiques, la nuit devient une source d’inspiration, un sujet à part entière dès le 19e siècle romantique. Nuits dans la nature, nuits citadines, heures méditatives, activités nocturnes, que de sujets pour les peintres ! Chez d’autres, ciels étoilés et nuits sélénites s’approprieront toute la surface de la toile, la transformant en pans de firmament.

Qui dit paysage nocturne, dit une forme d’abstraction où les formes se dissolvent, les volumes s’aplatissent, les couleurs se fondent. Il faut prendre du recul pour faire sortir de la nuit l’arbre-obstacle qui se cache dans l’abstraction gestuelle d’Adrian Ghenie (La fin du romantisme, 2009). En revanche la ville se fait décor de théâtre précis, sur lequel la lumière électrique fait concurrence à la lune ou se fait scène pour des jeux suggérés de noctambules (Hôtel-Hôtel, 1907-8, Auguste Elysée Chabaud). Et c’est son âme –– poétique, fantomatique –– que nous révèlent les chiaroscuros photographiques de Brassaï dans un Paris encore éclairé aux becs de gaz.

À la nuit, certains rendent les armes, soit dans un sommeil drogué comme le vidéaste Rodney Graham, soit dans des insomnies qui laissent Lee Krasner, veuve récente de Jackson Pollock, chercher l’oubli dans une peinture nocturne, chaotique et sombre (Night creatures, 1965). En explorant la nuit, on peut faire œuvre créatrice sans l’avoir voulu ; Olaf Nicolaï arpente la Vallée de la Mort californienne, en flashant son téléphone pour éclairer ses pas. Sur les 80 photos ainsi prises au hasard, ciel et terre confondent leurs ombres.

Dans la deuxième partie de l’exposition, nombreux sont les artistes qui ont attrapé dans leur pinceau un morceau de ciel étoilé pour le déposer sur leur toile. Lucio Fontana et Augusto Giacometti en font un ciel étoilé proche, tangible, alors qu’Helen Frankenthaler garde le ciel à distance pour mieux contempler nuages et étoiles.
Intrigante est l’installation du japonais Daisuke Yokota qui offre un enchevêtrement de rouleaux photographiques de grandes dimensions travaillés comme des peintures. À chacun d’y voir la nuit qui tombe, le jour qui se lève, un monde lunaire ou une plage familière, un horizon lointain ou le chemin à sa porte. Il est essentiel de prendre son temps pour se construire son roman nocturne.

L’exposition éclectique et diverse laisse, par son accrochage peu contraignant ¬¬–– pas de chronologie, des thèmes largement ouverts, des techniques variées (peinture, photo, néon, vidéo…) –– toute latitude à l’imaginaire du spectateur, en lui offrant quelques pépites, dont une rare scène nocturne londonienne de Monet, une toile divisionniste d’un tout jeune Robert Delaunay, aujourd’hui dans une collection privée, un Nu étoilé, 1936 de Picasso et une sérigraphie de Roy Lichtenstein, qui ne compte que quelques points de trame.

Et peut-être qu’à la sortie de l’exposition, vous aurez aussi la chance de contempler un couchant rose marbré de noir…

Elisabeth Hopkins

Visuels : Claude Monet, Leicester Square, la nuit, 1900/1901. Huile sur toile, 80 x 64 cm
© Collection Larock-Granoff.
Roy Lichtenstein, Moonscape, 1965. Screenprint on plastic, 50x61cm. Collection particulière. © Estate of Roy Lichtenstein New York / ADAGP, Paris 2018. Photo : © Tate, London 2018.
Peter Doig, Milky Way, 1989-90. Huile sur toile,152x204 cm. Collection de l’artiste
© Peter Doig. All Rights Reserved, DACS/Artimage 2018. Photo : Jochen Littkemann / ADAGP Paris, 2018.
Visuel page d’accueil : Man Ray, Nuit (Alphabet pour adulte), [1970] Encre de Chine et stylo-feutre sur papier, 30,6 x 24 cm. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’art moderne. © Georges Meguerditchian - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP © Man Ray Trust / Adagp, Paris, 2017.

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Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 13 octobre 2018 au 15 avril 2019
Centre Pompidou-Metz
1 Parvis des Droits de l’Homme
57020 Metz
Ouvert tous les jours, sauf le mardi,
De 10h à 18h
Tarif modulable en fonction du nombre d’espaces d’expositions ouverts le jour de votre visite. : 7€ / 10€ / 12€
www.centrepompidou-metz.fr