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Photographier l’Algérie

Née en même temps que la conquête coloniale, la photographie a toujours accompagné l’Algérie. Cette exposition, la première de l’année 2019 largement consacrée à la photographie à l’IMA-Tourcoing, réunit une centaine de photos de la fin du XIXe siècle jusqu’à 2002. « Il n’est pas ici question d‘une histoire chronologique de l’Algérie par l’image. Mais de montrer différents points de vue sur l’Algérie », insiste Françoise Cohen, Directrice de l’IMA-Tourcoing ; une antenne de l’IMA Paris, ouverte en 2016 dans l’ancienne école de natation de Tourcoing créée en 1904.

Le parcours photographique se déploie dans les anciennes salles dédiées à l’haltérophilie, à côté du bassin vidé en 1999 et des cabines et coursives toujours intactes, attendant une réaffectation.
Il ouvre avec des photographies ethnographiques anonymes (des Fantasias notamment), des cartes postales (astucieusement agrandies dans un diaporama) et l’album de photographies légendées du voyage en Tunisie et Algérie d’un couple de Français et de leurs amis, en 1911. On y voit des portraits d’habitants, des paysages, des vues de marchés…Une recherche de l’exotisme et un regard empreint des clichés orientalistes de l’époque avec ces portraits très posés et ce choix de paysages idéalisés, que l’on retrouve dans les autochromes (au demeurant superbes) de Jules Gervais-Courtellemont (1863-1931). Un natif de Fontainebleau qui a passé son adolescence en Algérie, développant une passion pour l’Orient, jusqu’à se convertir à l’Islam et passer sa vie entière à faire connaître et aimer ces pays d’Islam.

Un regard qui tranche avec celui, minutieux de l’enquête ethnographique de‭ ‬Thérèse Rivière‭ (1901-1970) ‬partie en mission dans les Aurès avec Germaine Tillion‭, en 1935-36. Issues des collections du musée du Quai Branly, leurs photographies-documentaires, dûment annotées, détaillent avec spontanéité des gestes du quotidien ou d’artisanat (poterie/tissage) de manière très technique, sans cadrage esthétique ni point de vue poétique.‬ ‬‬ On découvre avec surprise une série de photographies prises par‭ ‬Pierre Bourdieu‭ ‬(1930-2002) en Algérie entre 1958‭ ‬et 1961‭. Il n’est pas encore sociologue, mais professeur et s’intéresse à l’économie de la misère. À travers ses photographies de mendiants et de petits marchands ambulants, prises sur le vif, cet adversaire résolu du colonialisme français et de l’oppression militaire cherche à témoigner de tout ce qu’il observe. La photographie lui permettant à la fois une mise à distance et une attention sensible aux détails. ‬‬‬‬
Plus dérangeantes sont les clichés contraints de femmes algériennes réalisés par‭ ‬Marc Garanger‭ (né en 1935), ‬appelé du contingent de mars 1960 à février 1962, missionné pour faire des photographies d’identité de la population‭. ‬En dix jours, Marc Garanger va photographier 2000 personnes, des femmes surtout, les hommes ayant pris le maquis. « Elles étaient dans l’obligation de se dévoiler, témoigne-t-il. J’ai reçu leur regard à bout portant, il disait leur indignation ou leur colère muette. » Marc Riboud‭, photoreporter de l’agence Magnum était à Alger le 2 juillet 1962, jour de l’Indépendance. Ses clichés de foule en liesse voisinent avec ceux de‭ ‬Mohamed Kouaci‭ (1922-1996), ‬photographe du journal El Moudjahid l’organe officiel du FLN, qui témoigne notamment dans ses photographies de la contribution des femmes à la Révolution.‬ ‬‬

‬L’exposition se clôt sur le reportage très personnel de‭ ‬Bruno Boudjelal (né en 1961), jeune Français‭ ‬parti en 1993 à la recherche de ses racines paternelles algériennes, en pleine décennie des années de plomb. Une quête intime qui lui révèle des histoires familiales cachées, des blessures non refermées. Ses portraits de famille se doublent d’une surprenante série de photographies prises au hasard de ses errances quotidiennes dans les rues ; des images floues, au cadrage approximatif car prises à la sauvette, à travers les vitres de la voiture, ou « appareil caché », par peur des représailles. ‬‬
Pour ouvrir le point de vue sur la période contemporaine, Françoise Cohen a placé en début et fin du parcours (on entre et sort au même endroit), des images d’Alger de Karim Kal (né en 1977), réalisées en 2002, à la fin de la guerre civil et tirées sur poster (72 x 90 cm). Des paysages où domine le bleu lumineux du ciel et de la mer, offrant au regard une grande respiration et une ouverture sur l’ailleurs. Des images à emporter…

Catherine Rigollet

Visuels : Jules Gervais-Courtellemont, (sans titre) © Photothèque de l’IMA, Paris. Pierre Bourdieu, Marchand Ambulant avec son fils, Orléansville, Chlef. R 14. Archive Pierre Bourdieu, Images d’Algérie, 1958-1961. © Pierre Bourdieu / Fondation Bourdieu, St Gall. Courtesy Camera Austria, Graz. Marc Riboud, Alger, 2 juillet 1962. © Marc Riboud.

Archives expo en France

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 28 février au 13 juillet 2019
IMA-Tourcoing (59)
9, rue Gabriel Péri
Le mardi, de 13h à 18h
Et du mercredi au dimanche, de 10h à 18h
Tarif plein : 3 €
Tél. 03 28 35 04 00
www.ima-tourcoing.fr

 

 Profitez de votre visite à Tourcoing pour voir l’exposition « L’Algérie de Gustave Guillaumet », dans le cadre du Printemps Algérien à la Piscine à Roubaix : du 9 mars au 2 juin 2019.