Organisée sur les rives de la Méditerranée, c’est une des premières expositions en France à célébrer le 40e anniversaire de la mort de Picasso, disparu le 8 avril 1973. Elle raconte, dans la sobre chapelle des Pénitents noirs perchée sur les hauteurs d’Aubagne, l’aventure féconde et jubilatoire de Picasso avec la céramique. Une histoire sur fond de paix retrouvée en Europe, de sérénité de l’artiste et de culture méditerranéenne où se mêlent l’antique et le moderne.
Tout commence à l’été 1946. Installé dans le Midi de la France depuis la fin de la guerre, Picasso rencontre Georges et Suzanne Ramié, propriétaire de l’atelier Madoura, lors de la foire de la poterie à Vallauris. C’est une révélation. Picasso connaît pourtant la céramique depuis son enfance en Espagne, il a déjà réalisé des vases au début des années 1900 sous l’influence de Gauguin, puis des modelages en terre, mais à la suite de cette visite à l’atelier Madoura, et en collaboration avec ce dernier, Picasso va se lancer dans l’aventure de la céramique, poursuivant ce travail les années suivantes, après son installation à Cannes et ensuite à Mougins. « Il va créer près de quatre mille œuvres originales en terre en une vingtaine d’années, explorant sans cesse de nouveaux chemins, hors des standards des céramistes, « cannibalisant » parfois les pièces classiques de l’atelier Madoura pour les détourner à sa manière », relate Joséphine Matamoros, commissaire de l’exposition avec Bruno Gaudichon.
Sous les doigts de Picasso, assiettes, plats, cruches, marmites, poêlons à châtaignes s’ornent de hiboux, centaures, toreros, taureaux, faunes et faunesses, bacchanales endiablées, colombes et têtes de femmes parfois inspirées par Françoise Gilot ou Jacqueline Roque dont il fait la rencontre chez Madoura et qu’il épousera en 1961. Il décore pareillement (le plus souvent recto et verso) des tomettes, des tuiles, des carreaux et même ces « gazelles de four » servant à maintenir les pièces lors de la cuisson. Il détourne avec humour une gourde en insecte, transforme un pique-fleurs en canard enserré par des mains d’homme, renouant avec l’association de la forme zoomorphe et du motif de personnage fréquente sur les céramiques étrusques. À partir de bouteilles en terre saisies dans l’atelier quand elles sont encore molles, il modèle des statuettes, ces fameux Tanagras dont il fera diverses versions. En 1957, immortalisé par le photographe américain David Douglas Duncan (En savoir plus), Picasso imprime dans l’argile l’arrête d’une sole qu’il vient de manger et en décore un plat à la façon de Bernard Palissy au XVIe siècle. Utilisant des formes découpées, il s’amusera à composer bien d’autres assiettes de poissons en trompe-l’œil.
Dans la céramique, Picasso n’a fait que poursuivre son travail de sculpteur, dessinateur, graveur, peintre, utilisant parfois les mêmes outils : la main, le pinceau, la gouge, démontrant sa créativité débridée. Le trait est d’une extrême simplicité, les couleurs vont des verts et jaunes traditionnels dans la céramique méditerranéenne, à des bruns et noirs quand il s’inspire de l’antique, en passant par des bleus. Picasso a très vite suggéré l’édition de multiples au Ramié pour ne pas mettre en péril leur atelier. Sa production est donc constituée d’œuvres originales et de pièces éditées en plusieurs exemplaires.
L’exposition, qui s’inscrit dans le cadre de Marseille Provence 2013, réunit plus de cent cinquante œuvres, certaines inédites ou très rarement montrées.
Suzanne Ramié est décédée en 1974, un an après la mort de Picasso. L’atelier Madoura, maintenu par son fils Alain Ramié, a aujourd’hui terminé les éditions des œuvres qui avaient été décidées du vivant de l’artiste. L’atelier a fermé ses portes en 2008 et Alain Ramié a confié à la Cité de la céramique à Sèvres l’ensemble des matrices, plâtres, poinçons et pièces techniques ayant servi à la conception de ce corpus abondant. L’exposition Picasso céramiste et la Méditerranée sera présentée à Sèvres – Cité de la céramique, du 20 novembre 2013 au 19 mai 2014, dans une forme un peu différente, enrichie de matrices en plâtre.
Catherine Rigollet
Visuel page expo : Tanagra blanche (1948). Pablo Picasso. H.47 x L.11cm. Pièce unique en terre cuite blanche, tournée et modelée. Décor peint à l’englobe noir sur fond blanc mat. ©Collection particulière. Succession Picasso 2013. Crédit photo : Maurice Aeschimann.
Visuel vignette : Taureau et soleil barbu (1959). Plat espagnol en terre cuite rouge, tournée. Coll. Particulière.
Visuel page d’accueil : Masque de faune (1953), Assiette ronde en terre cuite. Décor peint à l’émail brun, noir et orange sur fond teinté ocre. Diam 18,3 ; Ep.2,2 cm. Œuvre originale et unique. Coll.part. © Succession Picasso 2012 - Crédit photo : Maurice Aeschimann.