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Sam Szafran. 50 ans de peinture

Survivre et résister, sans dieu ni maître

« Massada. Résister. Et faire ce que j’ai envie de faire. Même si c’est mauvais. C’est tout ce qui me relie à mon judaïsme », confiait Sam Szafran à l’écrivain Alain Veinstein dans une série de passionnants entretiens réalisés entre 2008 et 2011 (Éditions Flammarion). Dessinateur instinctif doté d’un trait sûr depuis l’enfance, voilà ce qui a sauvé Sam Szafran d’une carrière de voyou et d’une mort par overdose. Volontiers taiseux, Sam Berger qui a pris le nom de sa mère comme nom d’artiste se raconte finalement jusqu’au bout de ses excès, avec vérité, mais toujours avec pudeur et en prenant le temps. Ces mêmes pudeur et lenteur avec lesquelles il a construit en cinquante ans un corpus de près de 1 200 œuvres, 800 aquarelles et 300 pastels et crayons, autour de trois thèmes obsessionnels : les escaliers, les philodendrons et les ateliers. Une quête d’intérieur, secrète, poétique et mystérieuse, habitée par l’horreur du vide, les grands maîtres médiévaux, mais aussi par sa propre histoire, tragique.

Sam Szafran, enfant d’émigrés juifs polonais habitant dans le quartier des Halles, échappe de peu à la déportation en sortant miraculeusement du Vel d’Hiv grâce à la blondeur de ses cheveux ; sa tante et son père disparaîtront en camp de concentration. Nous sommes le 16 juillet 1942, il a 7 ans et se sent adulte. La suite de son enfance brisée est marquée par des traumatismes et des violences. Il est maltraité par un oncle qui va jusqu’à le tenir par la peau des fesses, dans le vide de l’escalier, pour tenter de faire céder ce gamin frondeur, réfractaire à tout, séchant l’école pour la magie des images de cinéma, « sa première université picturale ». Ce pur Parigot vit ensuite très mal l’exil en Australie avec sa mère et sa sœur et fugue sans cesse. Enfin de retour à Paris deux ans plus tard, il zone dans la rue avec les voyous, se drogue, vide les verres sur les comptoirs des bistrots… Jusqu’au jour où un chef de bande découvrant les ornementations sur sa bicyclette lui lance : « quand on est aussi doué, on n’entre pas chez les blousons noirs ! ». Déclic salvateur. À 17 ans, l’autodidacte va apprendre et se construire avec une soif inextinguible, dévorant des livres, copiant les maîtres au Louvre, se formant à l’académie de la Grande Chaumière, fréquentant les artistes de Montparnasse, nouant des amitiés intenses comme avec Alberto et Diego Giacometti ou Henri Cartier-Bresson, tirant toujours le diable par la queue et vivant de petits boulots, mais ne lâchant rien pour devenir peintre.
Après une période d’abstraction inspirée par son admiration pour Jean-Paul Riopelle, Sam Szafran revient à la figuration. À contre-courant, sans dieu ni maître, guidé par ses fantasmes et l’envie de survivre, il sublime à l’aquarelle et aux pastels des univers oppressants et déstabilisants de plantes envahissantes, d’ateliers d’artistes chaotiques et d’ateliers lithographiques aux toitures et escaliers omniprésents. Les escaliers, ce thème peu représenté dans l’histoire de l’art va devenir le motif récurrent de son œuvre sérielle. Ils sont vertigineux, déformés, sans fin comme l’attente. La tension du graphisme est à son comble, adoucie seulement par l’extrême richesse chromatique du pastel. Ce pastel qu’il aime avec passion parce qu’il lui a fallu dominer sa technique délicate. Il possède jusqu’à 1 800 tons, dont 375 de vert. Dès qu’il a de l’argent, il en achète, chez Roché, la seule boutique qui vaille à ses yeux. « J’ai de quoi dessiner durant 400 ans », rigole cet artiste de 78 ans qui a même fait de ses bâtons de pastels un motif. On l’accuse d’être répétitif, il balaie la remarque, arguant qu’il crée en peinture comme on tourne un film, image par image. Un travail séquentiel. Récemment, sans quitter le support papier (proche de la peau) ou la soie chinoise (qui lui permet d’associer le pastel et l’aquarelle, le sec et le mouillé), Sam Szafran s’est lancé dans des œuvres monumentales avec sa maîtrise de miniaturiste. Aux plantes grimpantes et aux escaliers, il a aussi ajouté des paysages urbains, présentés comme des dépliants ou des origamis. Une vision plus large, plus cosmique, d’un artiste qui rechigne à montrer son œuvre et sort peu de son sacro-saint atelier de Malakoff. Le cocon de son œuvre qu’il voit comme une sorte d’auto-analyse et de sa famille, sa femme Lilette et son fils Sébastien, lourdement handicapé, tous indissociablement unis dans cette même vie de tragédies, de résistance et d’amour.

Jusqu’au 16 juin 2013, sous le commissariat de Daniel Marchesseau, la Fondation Pierre Gianadda présente une rétrospective de 50 ans de peinture en une centaine d’œuvres. Elle aborde tous les thèmes récurrents de l’œuvre de Sam Szafran, depuis les rares huiles des années 1950 (séries des Rhinocéros et des Choux) jusqu’aux récents grands pastels sur papier, tel cet Hommage à Jean Clair pour son exposition « Cosmos » (2012). Une œuvre à l’aquarelle et au pastel sur soie, de 2,50 mètres sur 3 mètres, immense jungle inextricable de Philodendrons d’où émerge à peine la silhouette de Lilette Szafran.

Catherine Rigollet

 À voir aussi à la Fondation Gianadda : L’Escalier,, mur monumental céramique, spécialement réalisé par Sam Szafran en 2005 pour la paroi nord-ouest d’un bâtiment qui s’appelle désormais Pavillon Szafran, et Philodendrons, imaginé pour la paroi sud-est, exactement au revers (2006). Ces deux parois, de 3,35m de haut sur 7,35m de large, sont composées chacune de 220 carreaux de grès de 33 x 33 cm. Tour de force à quatre mains, conduit par Sam Szafran et Joan Gardy Artigas dans les ateliers de Malakoff et de la Fundació Tallers Josep Llorens Artigas à Gallifa (Barcelone).

 Sam Szafran (né le 19 novembre 1934 à Paris) est lancé dans les années 1960 par Jacques Kerchache et Claude Bernard. En 1989, Louis Deledicq l’expose avec Jean-Paul Riopelle au Centre d’art contemporain du château de Tanlay, dans l’Yonne. Jean Clair lui consacre une monographie en 1996 avant d’organiser sa première rétrospective dans un musée européen, en 1999, à la Fondation Pierre Gianadda à Martigny, en Suisse. Elle est présentée ensuite à la fondation Maeght, à Saint-Paul-de-Vence au printemps 2000. A l’automne de la même année, Daniel Marchesseau, alors directeur du musée de la Vie romantique, organise sa première exposition personnelle dans un musée parisien.


 A lire :
« Sam Szafran. Entretiens avec Alain Veinstein ». Editions Flammarion, 2013. 200 pages, 26€.

 « Sam Szafran, 50 ans de peinture ». Catalogue de l’exposition (240 pages). Ed. Fond. P. Gianadda.
Visuels page expo : Sam Szafran, Sans titre, 1981. Pastel à l’huile sur quatre feuilles de papier montées ensemble. 154 x 113,5 cm. Collection Centre Pompidou. © ADAGP © Centre Pompidou/ RMN. et Sam Szafran dans son atelier de Malakoff, 2012. © Didier Gicquel.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 8 mars au 16 juin 2013
Fondation Gianadda
Rue du Forum – Martigny (Suisse)
Tous les jours, de 9h à 18h
(10h-18h de novembre à juin)
Tarif plein : CHF 18 (15€)
(Paris-Lausanne (TGV)-Martigny : 5h)
Tél. + 41 27 722 39 78
https://www.gianadda.ch/