Homère a-t-il vraiment existé ? Le Louvre n’offre pas de réponse tranchée à la question, sauf qu’il fut statufié, copié, illustré au fil des siècles. Et qu’importe ! L’existence de l’Iliade et de l’Odyssée, poèmes déclamés à leurs débuts, puis transmis, et finalement édités et découpés en chants par les érudits de la Bibliothèque d’Alexandrie, suffisent à alimenter nos rêves et nos ambitions. Des figures sculptées des Dieux de l’Olympe et d’Homère lui-même, en aède barbu, nous amènent directement aux abords de la ville de Troie. Les scènes marquantes de l’Iliade sont peintes sur des amphores et des cratères (vases à deux anses) grecs à figures rouges ou noires, sculptées sur des bas-reliefs, et illustrées par les peintres. Au 17e siècle, Rubens s’intéresse aux récits guerriers (Hector tué par Achille, 1630), et Il Baciccio à la querelle des deux héros grecs qui ouvrent le poème (La querelle d’Achille et Agamemnon). Et si la peinture académique du 19e siècle n’est pas du goût de tous, on se laisse prendre, sinon séduire, par l’imagination des peintres (plus ou moins connus) et leurs interprétations idéalisées des scènes homériques (Hélène sur les remparts de Troie, 1826 – Gustave Moreau). Les représentations féminines, de l’art grec d’il y a 2500 ans aux lithographies de Chagall (Ulysse et les sirènes, 1974-75), seront plus nombreuses pour illustrer l’Odyssée, épopée moins guerrière. Les sirènes, Circé (Circé offrant la coupe à Ulysse, 1891 – John William Waterhouse), Calypso, Nausicaa et Pénélope s’y relaient pour pimenter le retour initiatique d’Ulysse à Ithaque.
Certaines scènes, et pas des moins connues, ne figurent pas dans l’Iliade ou l’Odyssée. Nulle part ne sont racontés le Jugement de Pâris, l’enlèvement d’Hélène, l’entrée du Cheval dans Troie, ou la mort d’Achille au talon percé. Ils figurent dans des poèmes disparus mais n’en ont pas moins inspiré les artistes (Le Jugement de Pâris – Watteau). L’attraction qu’exerce l’aède ne s’arrête pas là : en littérature, de Virgile à Alessandro Barrico (Homère, Iliade) en passant par James Joyce (Ulysse) ; dans le langage, avec les expressions devenues familières (la pomme de discorde, le talon d’Achille…), en décoration intérieure et en art contemporain. Pour exemple ici, un Achilles mourning the death of Patroclus, 1962 où le style gribouillis de Cy Twombly reflète avec efficacité l’émotion du moment homérique. Et pour finir sur une note gaie, amusez-vous des caricatures de Daumier. Créées pour Charivari dans les années 1840, elles posent un regard ironique sur les héros grecs.
Une exposition passionnante qui illustre bien la contemporanéité des poèmes homériques relevée par Sylvain Tesson dans Un été avec Homère, 2018 : « Chaque soubresaut historique est le reflet de sa prémonition homérique ».
Elisabeth Hopkins
Visuels : Portrait imaginaire du poète Homère, 2e siècle après J.-C., d’après un original grec créé vers 150 avant J.-C., Paris, musée du Louvre © Musée du Louvre, dist. RMN-GP / T. Ollivier.
Circé offrant la coupe à Ulysse, John William Waterhouse, huile sur toile, 1891, Royaume-Uni, Gallery Oldham © Bridgeman Images.