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Kader Attia. Les cicatrices nous rappellent que notre passé est réel

Une année sur deux, le Prix Joan Miró est attribué à un artiste faisant preuve « d’innovation, d’engagement, d’approfondissement et d’indépendance ». Après Mona Hatoum, Pipilotti Rist et Olafur Eliasson, entre autres, Kader Attia, lauréat du prix 2017, est accueilli pour une exposition monographique à la Fundació. S’y côtoient œuvres récentes ou créées pour l’exposition.

Son titre s’inspire d’une phrase tirée de De si jolis chevaux, roman de Cormac McCarthy : « Les cicatrices ont le pouvoir bizarre de nous rappeler que notre passé est réel. » Le concept de réparation est essentiel dans l’œuvre de l’artiste franco-algérien (né en 1970, travaille à Berlin et Alger). L’Occident cherche à rendre ses réparations – matérielles et morales – invisibles alors que d’autres civilisations les mettent en valeur, tel l’Afrique ou le Japon. Le travail d’Attia, travail qui relève de l’histoire et de l’anthropologie, est sous-tendu par un argument éthique, activiste, plutôt qu’esthétique, puisque, dit-il, « la production d’art contemporain esthétique peut être n’importe quoi. » Ses œuvres sont néanmoins d’une grande beauté.

La vingtaine d’installations, sculptures, vidéos, objets évoquent les blessures collectives occultées par des dénis collectifs, le travail de mémoire ou d’oubli. L’installation éphémère en graines (Untitled – Couscous, 2009) cartographie la ville algérienne de Ghardaïa, qui influença le style de Le Corbusier, mais rappelle aussi que les peuples colonisés eurent eux aussi des cultures dont les colonisateurs tentèrent de les déposséder, d’où les béances à la place des maisons. Pour Independence Tchao, 2009, Attia a récupéré de vieilles boites de métal contenant les fichiers français sur les activistes algériens et les a montés en une reproduction d’un bel hôtel de Dakar fermé pour cause de conflit entre politiciens et architecte. Comme quoi les anciens colonisés peuvent s’approprier les errements des colonisateurs ! Un triptyque vidéo, Heroes Herridos, 2018, réunit les témoignages de migrants arrivés en Espagne, ou d’associations exprimant leur opposition au pouvoir politique et administratif dans un monde globalisé. Sur d’autres écrans, s’affichent en parallèle les fameuses gueules cassées de la Guerre de 14-18 et des masques africains ayant subi des réparations (Open your eyes).
J’accuse, 2016 installe un peuple de gueules cassées – bustes de teck aux traits taillés à la serpe – face à leur propre destin filmé dans J’accuse d’Abel Gance (1938). Une œuvre qu’Attia qualifie de “champ de l’émotion”, terme qu’il préfère à catharsis. Pour Intifada, 2016, Attia a planté des arbres de métal d’où pendent des lance-pierres. Ce qui est à coup sûr une allusion au conflit au Moyen-Orient interroge également sur l’emploi d’armes quasiment préhistoriques contre une puissante armée. Et les miroirs suturés, mais pas toujours réfléchissants, qui ponctuent l’exposition, sont à l’image d’une histoire scarifiée, elle aussi.

L’art contemporain se donne trop souvent une mission de dénonciation sans nuance. Kadder Attia pense, crée des concepts, les étaye par une éthique réfléchie, et finit par offrir des œuvres splendides mais lucides et responsables qui ne peuvent laisser indifférent.

Elisabeth Hopkins

Visuels : Kader Attia, Untitled (Couscous), 2009. Floor sculpture. Couscous, black acrylic paint, spotlight. Courtesy of the artist ; Galerie Nagel Draxler Berlin/Cologne ; Collection FRAC Centre – Fonds Régional d’Art Contemporain, Orléans. Photo : François Fernandez. © Kader Attia, VEGAP, 2018.
Kader Attia, Intifada : The Endless Rhizomes of Revolution, 2016 Installation. Metal sculptures, rubber, stones, newspapers, photocopies Exhibition view, Sacrifice and Harmony, at MMK Museum für Moderne Kunst, Frankfurt/Main, 2016 Courtesy of the artist, Galerie Krinzinger and Galerie Nagel Draxler Berlin / Cologne. Photo : Axel Schneider © Kader Attia, VEGAP, 2018.
Kader Attia, J’accuse, 2016. Installation. Wooden busts on metallic plinths, wooden sculptures on metallic supports, single-screen video projection, colour, sound - Exhibition view, Sacrifice and Harmony, at MMK Museum für Moderne Kunst, Frankfurt/Main, 2016 Courtesy of the artist and Galerie Nagel Draxler Berlin/Cologne Photo : Axel Schneider © Kader Attia, VEGAP, 2018.

Archives expo en Europe

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

« Kader Attia. Scars remind us that our past is real »
Du 15 juin au 30 septembre 2018
Fundació Joán Miró
Parc de Monjuich, Barcelone, Espagne
Ouvert du mardi au samedi
De 10h à 18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Les dimanches et jours fériés, de 10h à 13h
Fermé le lundi.
Entrée : 7 €
www.fmirobcn.org