Vous consultez une archive !

L’argent dans l’art

Quels sont les rapports entre l’art et l’argent ? C’est à cette question que répond la nouvelle et passionnante exposition de la Monnaie de Paris dans un voyage de plus de 20 siècles d’histoire de l’art de l’Antiquité et ses mythes jusqu’à l’art dématérialisé et numérique d’aujourd’hui. Édifiant et passionnant.

L’art et l’argent partagent une origine sacrée ; tous deux sont sources de fétichisme et objets de sublimation. Depuis l’Antiquité, l’argent nourrit l’imaginaire des artistes, et en particulier le métal or, si présent dans les mythes comme celui de Danaé et de la pluie d’or, ou celle du veau d’or. Cette passionnante exposition, à la fois thématique et chronologique, nous emmène des origines aux mythes, en passant par les métiers d’argent et la morale religieuse, jusqu’à l’invention du marché de l’art et de ses excès, réunissant près de deux cents œuvres (tableaux, sculptures, photographies, pièces de monnaie) issues de collections publiques (Louvre, Orsay, Centre Pompidou…), mais également de musées régionaux, de galeries et de collectionneurs privés.

L’argent est éphémère arguent en guise de prologue Anne et Patrick Poirier dans leur installation réalisée avec les billets de francs mis hors de la circulation monétaire lors du passage à l’euro (Fragilité, 2001). L’argent est signe de capital et de consommation tend à prouver Bertrand Lavier en empilant un coffre-fort et un frigo dans son œuvre duchampienne Brandt/Haffner (1984). L’argent est fragile constate Damien Hirst en présentant une collection de pièces de monnaie antiques perdues à la suite d’un naufrage. L’argent pousse à la guerre montre Pieter van der Heyden dans son Combat des tirelires et des coffres-forts (1570), d’après Pieter Bruegel l’Ancien. L’argent rend bon (distribution de pains aux pauvres) ou avare illustrent deux toiles de l’école flamande de la fin du XVIe siècle.

On dit que l’argent n’a pas d’odeur, mais il sent parfois le souffre comme celui des industriels de l’Allemagne des années 30 qui le fournirent au parti nazi (John Heartfield, Adolf, le surhomme : avale de l’or et recrache des insanités, 1932). L’argent en revanche fait du bruit, entre autres quand il est monnaie sonnante et trébuchante s’amuse Ben avec sa caisse enregistreuse (Le Son de l’art moderne, 1989). Son commerce est très tôt condamné par la Bible et le métier de changeur, de collecteur d’impôts, de banquier ou d’usurier est plutôt représenté chez les artistes protestants, dans la peinture hollandaise des XVIe et XVIIe siècles (Marinus van Reymerswaele, Collecteur d’impôts XVIe siècle © RMN-Grand Palais (musée du Louvre). L’argent est vanité suggère Michel Journiac avec son squelette humain laqué or (Contrat pour un corps n°3, 1972).

De l’argent, il en a fallu aux artistes pour se nourrir et créer, et aux marchands tel Paul Durand-Ruel qui a dû emprunter aux banques pour leur acheter des toiles. Et que penser de la collusion de l’art et de l’argent ? Alors que Duchamp avait souvent cherché à évoluer en marge du marché, son œuvre n’a pas échappé à la spéculation. Dali, surnommé « Avida dollars » par André Breton l’aimait et plus il l’aimait, plus il devenait avare, avouait-il. Le développement de la monnaie papier a beaucoup inspiré les artistes. Ceux du pop art notamment qui comme Warhol transforme le signe du dollar en icone (Dollar sign, 1981).

Le capitalisme a fait de l’œuvre d’art une marchandise comme une autre et acheter de l’art permet de se doter d’une image sociale haut de gamme tout en investissant dans une valeur…toutefois instable et imprévisible, soumise aux aléas de la reconnaissance, des modes et du marché de l’art. Qui peut aussi atteindre des records comme en 2021 où les ventes aux enchères d’œuvres d’art ont dépassé les 17 milliards de dollars, dopées par les œuvres numériques. Mais cette émergence des NFT et la spéculation exponentielle sur certains artistes contemporains interrogent la question de la valeur, entre celle du marché et celle établie au regard de l’Histoire de l’art. Sans parler des artistes qui créent directement sous influence (Cindy Sherman dessinant une malle pour Louis Vuitton ; Daniel Buren des carrés pour Hermès…). L’art peut-il donc se soustraire de l’argent ? « Pour autant, l’art impose une valeur idéelle, irrationnelle, flottante voire gazeuse, du zéro à l’infini (ou presque), car il touche à l’inquantifiable : le désir, le plaisir, le rêve, la pulsion, et exacerbe ce que Karl Marx appelait : « l’énigme de la valeur », conclue avec optimisme Jean Michel Bouhours, Commissaire de l’exposition. On respire.

Catherine Rigollet

Visuels : Anonyme (d’après Titien), Danaé, XVIe siècle © RMN-Grand Palais (PBA, Lille).
Marinus Van Reymerswaele, Les collecteurs d’impôts, XVIe © RMN-Grand Palais (musée du Louvre).
Ben (né en 1935), Le Son de l’art moderne, 1989. Acrylique sur bois, caisse enregistreuse. Courtesy galerie Baudoin Lebon.
Michel Journiac (1935-1995), Contrat pour un corps n°3, 1972. Squelette humain laqué or (détail). Galerie Christophe Gaillard, Paris.
Photos © L’Agora des Arts

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 30 mars au 24 septembre 2023
Monnaie de Paris
11 Quai de Conti 75006
Du mardi au dimanche, 11h-18h
Nocturne le mercredi jusqu’à 21h
Tarif plein : 12€
https://www.monnaiedeparis.fr/fr