Musée du verre et du vitrail - François Décorchemont

Créé par la ville normande de Conches en 1996 pour conserver les rares vitraux en pâte de verre de François Décorchemont (1880-1971), céramiste et maître verrier qui vécut dans cette petite ville de 5000 habitants près d’Evreux tout au long de sa vie, le musée a progressivement développé ses collections qui totalisent aujourd’hui quelque six-cents œuvres, dont 250 exposées depuis le 25 juin 2022 dans le tout nouvel écrin du musée : l’ancien hospice du XIXe siècle. Financé par la région et l’état, dirigé par Eric Louet, conservateur, ce musée consacré aux arts verriers met tout particulièrement en lumière la créativité du travail de la pâte de verre qui permet aux artistes de s’exprimer en liberté sans la contrainte excessive des techniques, et l’art du vitrail.

Le parcours chronologique invite aussi à une relecture passionnante du travail du verre en ouvrant sur l’art nouveau et l’art déco avec un bel ensemble de verreries aux motifs floraux, animaliers et géométriques. Parmi les belles pièces, un somptueux Vase Salmonides (1928) en verre pressé-moulé de la maison Lalique, un Vase aux écureuils (1928) de Gabriel Argy-Rousseau (1885-1953) ou encore un Vase fuselé à décor rayonnant (1929) de Michel-Aristide Colotte (1885-1959), expert du travail sur le cristal soufflé avant d’être taillé au burin.
Une salle est consacrée à la manufacture créée par Charles Schneider (1881-1953), élève de Jean Daum à Nancy, qui dès 1918 déposa avec son frère Ernest la marque « Le Verre Français », une gamme plus fantaisiste que les verreries haut de gamme de la ligne Schneider et d’une grande modernité des couleurs. Le musée en conserve un ensemble exceptionnel, dont des vases (Vase Chronos en verre soufflé, poudré, gravé, vers 1928-1930). De cette même période, cohabitent aussi les vases en verre criblé de bulles de Jean Sala (1895-1976), un catalan qui arrivé à huit ans à Paris s’exerçait déjà à souffler aux côtés de son père, verrier comme tous les Sala. Remarquables aussi les vases et flacons en cristal modelés à chaud (température excédant 1 000 degrés) et décorés de paillettes d’André Thuret (1898-1965) qui a mis à profit ses connaissances d’ingénieur chimiste du verre pour son œuvre de créateur.

À partir des années 1950, le verre cède de plus en plus la place au cristal. Les anciennes verreries de Daum, Lalique et Schneider se reconvertissent pour produire en série des objets en cristal massif et incolore dont la matière est généralement étirée et travaillée à la canne. François Décorchemont sera l’un des rares artisans d’art à poursuivre l’emploi de la pâte de verre en la moulant à la cire perdue pour l’épaissir, modifier la transparence de la matière, augmenter la nuance des couleurs et agrandir les pièces. Parmi les œuvres majeures exposées, un grand vitrail représentant les monuments de Conches (1962) remarquable par l’éclat, la transparence et la luminosité des couleurs. Deux vitraux en verre (sertis de ciment à la place du plomb), aux décors stylisés et simplifiés de vie rurale et agricole réalisés pour le Crédit Agricole qui en a fait don au musée. Ou ce pare-feu flamboyant évoquant une corbeille de fruits de Cézanne.
L’art du vitrail est particulièrement mis en valeur au musée avec des pièces d’exception de différentes périodes, tel ce paravent d’inspiration naturaliste représentant un paysage de bord de mer, attribué au peintre Auguste Morisot (1857-1951) et exécuté en 1916 par l’atelier lyonnais Nicod et Jubin. Des vitraux de Gabriel Loire (1904-1996). Ou encore ce vitrail abstrait évoquant un feuillage avec ses épaisses dalles de verre jaunes, vertes et ocres collées à froid sur une plaque de verre beige, signé Henri Guérin (1929-2009).

Une nouvelle génération de verriers émerge à la fin des années 1970, formée aux techniques du verre soufflé à la verrerie de Biot créée en 1956 par Eloi Monod et où fut développée la technique du verre bullé, un verre épais où sont emprisonnées des bulles d’air provoquées par un saupoudrage de bicarbonate de soude. Certains artisans (Claude Monod, Walter Couffini, Alain et Marisa Bégou ou Claude et Florence Morinvont) vont s’en détacher pour créer de petits ateliers indépendants de travail du verre à chaud et concevoir des pièces uniques. Tandis qu’à Conches, Antoine et Etienne Leperier, les petits-fils de François Décorchemont remettent à l’honneur la pâte de verre.
En ce milieu du XXe siècle, on voit aussi apparaître une nouvelle discipline : la sculpture sur verre qui favorise la création d’œuvres de plus grandes tailles dans les domaines de l’abstraction géométrique, du symbolisme et du minimalisme. C’est ce que l’on découvre dans les dernières salles, avec un magnifique poisson rose écrasant des bouteilles dans sa mâchoire aux dents acérées, création du Tchèque Jaromir Rybak (né en 1952) qui s’est taillé une réputation internationale avec ses inquiétantes chimères marines en verre. Ou encore cette inclusion de verre jaune dans une masse de granit gris du Slovaque Vladimir Zbynovsky (né en 1964).

Catherine Rigollet

Archives expo en France

Infos pratiques

Collection permanente
De mars à fin novembre
25 rue Paul Guilbaud
27190 Conches-en-Ouche
Du mercredi au dimanche, 14h-18h
https://museeduverre.fr


Visuels :
 René Lalique, Vase Salmonides, 1928, verre moulé-pressé. Dépôt Benjamin Gastaud.
 Auguste Morisot, Paravent d’inspiration naturaliste représentant un paysage de bord de mer, 1916 (détail).
 François Décorchemont, Les Monuments de la ville de Conches, 1962. Vitrail en pâte de verre.
 Alain Begou, Vase, 1987. Verre soufflé, modelé. Décor intercalaire en rouge et noir.
 Jaromir Rybak, Fish, 2018.
 François Décorchemont, Vitrail monté en pare-feu « Nature morte aux fruits », 1932 (détail), pâte de verre, ciment et bois.
Photos L’Agora des Arts, 23 juin 2022.