L’estampe revient en force dans les expositions. Après le musée Marmottan-Monet qui en exposait une centaine, de Dürer à Picasso (jusqu’au 17 septembre 2023), c’est au tour du Petit Palais de mettre en lumière sa prestigieuse collection. Constituée en 1908, elle est le reflet du goût de ses illustres donateurs, les frères Auguste et Eugène Dutuit dont la collection comprend 12 000 belles feuilles, toutes dues aux plus grands peintres-graveurs de leur temps, et de la volonté du conservateur Henry Lapauze, à l’origine d’un musée de l’estampe moderne créé au sein même du Petit Palais. Qualité, rareté et pedigree caractérisent cette collection qui compte des chefs-d’œuvre. Avec quatre têtes d’affiche : Rembrandt, Dürer, Callot et Goya.
Rembrandt (1606-1669) : la passion d’Eugène Dutuit et le « joyau de sa collection ». Plus de 350 eaux-fortes rassemblées, d’une qualité exceptionnelle. Comme ces nombreux portraits, autoportraits, ou encore cette jolie gravure d’un Coquillage au relief saisissant. Une autre feuille sort du lot : La Pièce aux cent Florins, rare par sa taille (près de 50 centimètres de large) et par son histoire puisqu’elle appartint à Dominique Vivant Denon, premier directeur du Louvre. Cette estampe, dont le sujet est Jésus guérissant les malades, doit son nom au fait que Rembrandt l’échangea contre plusieurs pièces du graveur Marc-Antoine Raimondi, pour une valeur totale de cent florins.
D’Albrecht Dürer (1471-1528), Dutuit a rassemblé la quasi-totalité de l’œuvre gravé. Parmi les 264 estampes originales de l’artiste allemand on (re)découvre ici son singulier et très fantaisiste Rhinocéros (on rappelle que Dürer n’a jamais vu cet animal offert au roi du Portugal Manuel 1er par le sultan de Cambay en Inde, mais qu’il en a eu connaissance) ; Adam et Eve d’une éblouissante virtuosité ; le macabre et sublime Les Armoiries de la Mort ou encore la célèbre Melancolia, pouvant se lire comme un autoportrait spirituel de l’artiste confronté à ses propres limites créatives et à sa finitude.
L’ensemble des Jacques Callot (1592-1635) réunit par Eugène Dutuit est proche de l’exhaustivité, avec surtout quelques célèbres gueux et bohémiens de ce « poète des fêtes populaires ». De Francisco Goya (1746-1828), on admire 64 estampes, dont des estampes rares (Les Ménines d’après Vélasquez), et des pièces uniquement tirées par Goya lui-même, tel que l’album des Caprices. Moins connue, la série des Disparates est fascinante d’inventivité comme l’estampe Manière de voler qui évoque les machines de Léonard de Vinci.
Une collection qui continue de s’enrichir
Le musée du Petit Palais s’est ensuite enrichi dès 1908, à l’initiative de Henry Lapauze, conservateur puis Directeur du Petit Palais et grâce à la générosité d’artistes eux-mêmes ou de leurs ayants droits, de quelque 3000 estampes de la fin XIXe siècle avec des feuilles de Buhot (La taverne du bagne), Bracquemond, Chéret, Chahine (Le Tombereau), Steinlen (Blanchisseuses. Le linge sale et le linge propre), Toulouse-Lautrec… Un fonds complété de portraits de grands noms du XIXe siècle, offerts par le collectionneur Henri Béraldi et d’un lot d’estampes éditées par la Ville de Paris, qui avaient pour objectif d’encourager et de soutenir les graveurs contemporains.
Ce parcours en noir et blanc ponctué de vitrines présentant le matériel en rapport avec cinq techniques d’estampe (gravure sur bois / eau-forte / burin / lithogravure / eau-forte en couleurs), se clôt sur l’estampe en couleurs, avec un ensemble de paysages. Parmi eux : Hiver en Norvège, une rivière couverte de glace traversant un village enneigé du norvégien Frits Thaulow (1847-1906), qui s’est fait connaître pour ses paysages de bords de mer et de rivière. Le Chemin par temps de pluie d’Henri Jourdain (1864-1931), ou encore les Pêcheuses de crevettes d’Arsène Chabanian (XIXe-XXe siècle).
Au total ce sont près de 200 feuilles que l’on découvre en suivant le fil de l’histoire des collections qui continuent de s’enrichir. Entre 2013 et 2023, 1 289 estampes d’une grande diversité ont rejoint le Petit Palais qui nous en dévoile une dizaine. Dont une étrange tête d’Odilon Redon (La Cellule auriculaire) et une fascinante eau-forte de Charles Méryon -un nostalgique du vieux Paris- représentant une complexe architecture à la manière de Piranèse habitée de minuscules et tragiques personnages se rendant à L’Ancienne Morgue.
Un beau et inédit panorama de l’estampe du XVe au XXe siècle. À voir et revoir.
Catherine Rigollet