Rarement une exposition ne s’était intéressée à l’implication des coloristes dans l’architecture, l’urbanisme, le design, le graphisme, le paysage. Cette exposition-dossier présentée à La Piscine à Roubaix, certes plutôt pointue, est d’autant plus passionnante que le métier de coloriste-conseil a aujourd’hui disparu.
En France notamment, le métier de coloriste-conseil apparaît après la seconde Guerre mondiale. Les pionniers s’appellent Jacques Fillacier, Georges Patrix et Bernard Lassus. Puis avec André Lemonnier, Jean-Philippe Lenclos, Michel et France Cler, Victor Grillo, Fabio Rieti, Ryoichi Shigeta, les années 1970 voient émerger une seconde génération de coloristes. Pour la plupart, ces coloristes ont suivi une formation artistique et entretenu des relations privilégiées avec certains artistes qui les ont conseillés, tel Georges Patrix avec Matisse, André Lemonnier (qui rejoint dès le début des années 1960 l’Atelier du coloriste conseil Jacques Fillacier) avec Victor Vasarely, et tous revendiquent Fernand Léger comme leur père spirituel. Ce qui les intéresse en priorité ? Mettre de la couleur sur les sites industriels pour valoriser le cadre de vie des ouvriers et améliorer l’image et l’identification des usines. Parallèlement, ils développent leurs systèmes d’indexation chromatique et conçoivent des nuanciers pour les producteurs de peinture.
Coloration des usines et des logements
La palette chromatique joue divers rôles. Elle peut estomper la présence du bâti, comme le projet de mise en couleur de la façade du Centre atomique de La Hague par Patrix. Ou au contraire contraster avec le site, tel le Terminal des méthaniers à Fos-sur-Mer (Atelier Fillacier-Grillo). Au cours des années 60-70, accompagnant la politique des villes nouvelles et la prolifération des banlieues, les coloristes-conseils concourent à de nombreux projets de logements pour tenter de rompre la monotonie et l’uniformité de ces quartiers naissants (Bernard Lassus à Uckange imagine même des arbres peints sur les façades). Les écoles aussi prennent des couleurs (les Maradas à Cergy par Jean-Philippe Lenclos), mais aussi les centres commerciaux, les esplanades, etc. Avec les coloristes-conseils, la couleur devient un nouvel outil de construction de l’espace.
L’emploi de la couleur ne doit rien au hasard. Il se nourrit d’une pluridisciplinarité dédiée à l’environnement paysager, urbain, et social. Ces travaux impliquent l’étude de différents domaines comme l’histoire de la science de la couleur, l’histoire de l’art, de l’architecture, de l’urbanisme, du paysage, et de l’histoire du design et du graphisme. Mais la couleur aussi peut faire peur, aux commanditaires comme au public. Les couleurs vives surtout. Ainsi, l’école des Plants construite au début des années 1970 par l’architecte Jean Renaudie à Cergy fit polémique. Les bleus, rouges et jaunes de ses petits bâtiments sont aujourd’hui devenus tristement vert-bronze et beige.
Catherine Rigollet
– À ne pas manquer à Roubaix : la grande et très réussie exposition
Street generation(s). Du 31 mars au 18 juin à La Condition Publique. Lire l’article.