James Ensor et la nature morte en Belgique (1830-1930)

Quelle meilleure ville qu’Ostende, cité natale de James Ensor (1860-1949) où il résida toute sa longue vie, pour lancer les célébrations qui lui sont consacrées à l’occasion de sa mort il y a 75 ans. Première exposition « Ensor 2024 », « Rose, Rose, Rose à mes yeux ! » est aussi la première exposition entièrement consacrée aux natures mortes que le peintre a réalisées tout au long de sa carrière et qui représentent un quart de sa production picturale qui totalise 800 paysages, marines, intérieurs, portraits, autoportraits.

Si ses premières natures mortes s’inscrivent encore dans une veine décorative traditionnelle, très vite Ensor se livre à l’expérimentation. Il aime manipuler les objets, notamment coquillages, curiosités, masques et chinoiseries importées d’Extrême-Orient vendus dans le magasin de souvenirs de ses parents à deux pas de la mer, pour composer des natures mortes qui vont peu à peu tendre vers le fantastique. Comme cette nature morte de bouteille, cruche, assiettes et chandeliers dans laquelle il a glissé un Pierrot, un squelette hilare tout de jaune vêtu et des masques (Pierrot et squelette en jaune, 1893). Un renouvellement de son iconographie -et de sa façon de peindre- qui apparait aussi dans ses tableaux de fleurs, dont la facture d’abord classique, comme ces nobles et voluptueuses Roses de 1892, s’enhardit de couleurs de plus en plus pures, de figures grotesques et de masques. Au fil du temps, sa touche devient plus fluide, sa palette s’éclaircit. Si comme pour les Impressionnistes, la lumière est importante dans ses tableaux, c’est à sa façon à lui, en montrant son influence sur les formes, êtres et objets, en les éclairant par une lumière horizontale. « Ensor n’a jamais suivi les règles et a aimé aller à l’encontre de la tradition », souligne Sabine Taevernier, co-commissaire de l’exposition avec Bart Verschaffel.

Quand ses grandes compositions heurtent la critique et ses contemporains, comme sa toile culte L’Entrée du Christ à Bruxelles (1888) qui dénonce les défauts et l’hypocrisie de la riche société bourgeoise et de l’Église catholique, Ensor se remet aux natures mortes qui plaisent. Mais qu’il peigne des fleurs, des crustacés, des choux ou une raie, masques, grotesques et grimaces réapparaissent inexorablement. Pour Ensor, « la nature morte est devenue un pur exercice de style ou le décor baroque et chargé mène la danse et anime un sujet qui en soi devrait être sans vie. L’artiste au contraire la transforme en de petits théâtres frivoles et ludiques », écrit Sabine Taevernier dans le catalogue de l’exposition. « La nature morte est le triomphe de la couleur et de la vie », a d’ailleurs écrit Ensor au collectionneur Edgar Picard, en 1906.

L’exposition ambitionne aussi de contextualiser la trentaine de tableaux d’Ensor, complétée d’une vingtaine de ses dessins, en les confrontant à l’histoire de la nature morte en Belgique entre 1830 et 1930, avec une centaine d’œuvres, de David Emile Joseph de Notter à Magritte, en passant par Anna Boch, Rik Wouters et Spilliaert. On regrette toutefois ce trop-plein d’œuvres d’inégal intérêt pour la compréhension des natures mortes d’Ensor réunies dans une seule salle. Mais quelle salle ! Qui concentre tout le talent, le côté innovateur et l’onirisme de ce maître flamand, fait baron par le roi Léopold en 1929 et devenu enfin célèbre. Elle donne envie de découvrir la suite du programme « Ensor 2004 ». Avant l’exposition « Ensor : rêver à l’infini », en septembre prochain au KMSKA d’Anvers (qui dispose de la plus importante collection d’Ensor au monde), Ostende accueillera plusieurs expositions, notamment dans sa maison de la Vlaanderenstraat – devenue son musée après sa mort. Enrichie d’un espace de documentation et d’interprétation, elle permet de découvrir sa vie et de mieux comprendre son œuvre.

Catherine Rigollet

Archives expo en Europe

Infos pratiques

Du 16 décembre au 14 avril 2024
Mu.ZEE
Romestraat 11 - Ostende
Du mardi au dimanche, 10h-17h30
Fermé le lundi
Tél. 32 (0)59 50 81 18
Tarif plein : 15€
www.muzee.be
www.ensor2004.be
Maison de James Ensor
Vlanderenstraat, 29 (13€)


Visuels :

 James Ensor, Masque regardant des crustacés, 1891. Huile sur panneau, 31 x 39 cm. Koninklijk Museum voor Schone Kunsten, Anvers. Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, Roses, 1892. Huile sur panneau, 32,5 x 40 cm. Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles. Photo L’Agora des Arts.

 Sabine Taevernier, co-commissaire de l’exposition « James Ensor et la nature morte ». Ostende, 13 décembre 2023. Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, La raie, 1892, huile sur panneau, 80 x 100 cm. Musées royaux des beaux-arts de Belgique, Bruxelles. Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, Pierrot et squelette en jaune, 1893. Huile sur panneau, 38 x 48 cm. Museum voor Schone Kunsten, Gand. Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, Chou rouge et verre de vin vert, 1925. Huile sur toile, 66 x 80 cm. Collection privée. Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, Fleurs, fruits et masques, 1931. Huile sur toile, 65 x 53 cm. Collection privée. Photo L’Agora des Arts.

 Salle à manger Maison Ensor à Ostende (tableaux fac-similé). Photo L’Agora des Arts.

 James Ensor, Autoportrait au chapeau fleuri, 1883. Collection du Mu.ZEE. Photo Hugo Maertens.


 Ostende, ville d’art
Port de pêche devenu station de villégiature à la mode, Ostende est aussi une ville d’art qui a vu naître Ensor (dont la maison-musée se visite), Spilliaert et accueilli Permeke (ouverture de la maison Permeke en mars 2024). Les collections permanentes du MuZEE abritent de belles pépites de ces trois grands artistes, dont le célèbre Autoportrait au chapeau fleuri (1883-88) d’Ensor et son Christ apaisant la tempête (1891) à la violence turnerienne, mais aussi la Plage au clair de Lune , (1908) de Spilliaert et Le Cabriolet (1926) de Permeke.
Ostende, c’est aussi le mythique Kursaal à l’histoire mouvementée. Un lieu aujourd’hui encore dédié à la culture, dominant l’immense plage baignée de l’exceptionnelle lumière du Nord.
Ostende accueille aussi depuis 2016 un grand festival de street art dans les espaces publics : « The Crystal Ship » (nom donné par Björn Van Poucke, le conservateur, en référence au morceau des Doors) avec des œuvres pérennes et de nouvelles créations chaque année. Plus de 70 peintures murales, souvent des fresques monumentales réalisées sur des façades de maisons et immeubles, des anciennes entreprises, des murs, des boîtes électriques…sont à découvrir, à pied ou à vélo, au fil d’un parcours fléché du centre d’Ostende à la périphérie, avec des œuvres d’artistes belges et internationaux célèbres ou émergents, dont Dzia (BE), Jaune (BE), Guido van Helten (AUS), Ben Slow (UK), Isaac Cordal (ES), C215 (FR), Case Maclaim (DE), etc. Un véritable musée à ciel ouvert.