Après Soleil froid, le Palais de Tokyo expérimente à nouveau en 2013 avec Nouvelles vagues. Pas moins de vingt-et-une expositions, clairement identifiées, entrainant le visiteur en plongée dans l’art actuel, des sous-sols du Palais en remontant vers la lumière du jour, guidé par un fil rouge dans un parcours émaillé de performances physiques et artistiques. Vingt-et-une propositions faites par 21 jeunes commissaires ou groupes de curateurs internationaux, sélectionnés par un jury parmi plus de cinq cent candidatures. Ils sont artistes, conservateurs, commissaires d’expo, journalistes, critiques d’art, historiens de l’art. Chacun a concocté une petite exposition thématique en réunissant des œuvres d’artistes de leur choix et les univers se succèdent, tous différents, formels pour les uns, conceptuels pour d’autres.
Ainsi, Marc Bembekoff, dans La méthode Jacobson qui ouvre le parcours, propose d’examiner les différentes modalités de la construction d’une image et questionne le paysage en tant que représentation mentale au travers d’œuvres d’une dizaine d’artistes. Sinziana Ravini a conçu The Black Moon comme le récit (un peu autobiographique) d’une histoire d’amour entre un homme et une femme qui se rencontrent dans une exposition, l’un défendant un matérialisme aléatoire, l’autre un idéalisme romantique. Les œuvres de Pierre Huygue y dialoguent avec celles d’artistes émergents. Dans Concert Hall, une construction en bois qui rappelle le Buisson Maudit des Frères Chapuisat à l’Abbaye de Maubuisson ou leur Sanctum Sanctum exposé chez JGM Galerie (voir ci-contre), Jean Barberis invite le visiteur à vivre une expérimentation multi-sensorielle et interactive constituée d’images kaléidoscopiques et de musique expérimentale produite par des instruments animés. Immersion dans l’immatériel avec les vidéos d’Un Escalier d’eau de Natalia Valencia. Tout notre corps est absorbé par des images de spectateurs eux-mêmes absorbés par des images, tel ce groupe d’enfants qui regardent un spectacle de marionnettes, filmé en plan fixe par Herz Frank. Une construction en abyme aussi simple qu’efficace.
Belle réussite de Champs-Elysées explorant l’esthétique funéraire, sa fonction de survie symbolique et tentant de composer un cimetière idéal avec notamment une œuvre de Tom Holmes : une tombe composée de quatre bidons de lait reliés par une guirlande de Noël. Depuis sa première exposition à New York en 2009, cet artiste né au Texas en 1975 déploie son vocabulaire artistique autours des rites et objets funéraires, en utilisant les codes de la culture populaire américaine.
Qui a tué la peinture ?, s’interrogent fort à propos Ana Mendoza Aldana et le collectif Cartel de Kunst. Proclamée à la fin des années 1960 par des critiques d’art et des artistes, cette mort annoncée de la peinture au profit d’autres expressions artistiques fait toujours débat. The Floating Admiral sonde le panorama artistique pour mettre en évidence les nouvelles pratiques de la peinture aujourd’hui, du bloc d’asphalte monochrome de Zhanna Kadyrova à l’installation de Nicolas Floc’h qui a remis dans des tubes la peinture de toiles ratées, données par des artistes comme Philippe Cognée, Bertrand Lavier et Yan Pei Ming. La peinture est à nouveau en puissance, prête à être réutilisée. Marc Bembekoff, qui avait ouvert l’exposition Nouvelles Vagues avec La méthode Jacobson, la clôt avec Baitogogo, une spectaculaire sculpture d’Henrique Oliveira. À travers son arbre tentaculaire dont les branches se tordent comme des lianes avant de devenir des poutres de l’ossature du bâtiment, l’artiste brésilien joue avec l’architecture du Palais de Tokyo, déstabilise le visiteur dans sa perception de l’espace et suggère que le végétal pourrait prendre le contrôle et envahir nos temples urbains, comme à Angkor.
Catherine Rigollet
Visuel : Tom Holmes, untitled Plot (2012). (milk jugs, silver tinsel). Photo l’Agora des Arts.