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Picasso. Chefs-d’œuvre !

La nouvelle exposition du musée Picasso, « Picasso. Chefs-d’œuvre ! », arrive à se passer de Guernica et des Demoiselles d’Avignon, ces deux icônes du XXe siècle, pour confronter l’œuvre picassienne à la notion de chef-d’œuvre. Il est vrai que Guernica a fait l’objet de la précédente exposition du musée national Picasso-Paris (www.lagoradesarts.fr/-Guernica-.html) et que cette œuvre ne quitte pas plus les cimaises du Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía-Madrid que « Les Demoiselles d’Avignon » celles du MoMA. Cette exposition parvient presque à nous les faire oublier tant est pléthorique en œuvres et archives du maître espagnol la collection du musée qui sait aussi actionner les partenariats publics ou privés les plus prestigieux pour étayer sa démonstration. Les quinze étapes de l’exposition, autour d’une œuvre unique ou d’une série d’œuvres, interrogent la notion de chef-d’œuvre, déjà terriblement discutée, par le prisme d’une création picassienne protéiforme qui s’étire sur près de huit décennies ! Picasso, chef d’œuvres, pourrait-on dire !

L’accès par la salle consacrée aux carnets, dessins et gravures autour de Le Chef-d’œuvre inconnu, la nouvelle de Balzac illustrée par Picasso un siècle après sa publication en 1831, est doublement astucieuse lorsque l’on sait l’intérêt que le peintre porta à ce texte dont il fit des études dessinées dès 1924 et parce que le thème du peintre et de son modèle est un de ceux que Picasso a spécialement affectionné tout au long de sa vie. Cependant, dans Le Chef-d’œuvre inconnu, ce n’est pas forcément la tragédie du personnage balzacien qui fascine le plus Picasso, le peintre Frenhofer, « si plein de l’œuvre qu’il rêve qu’il ne peut la réaliser » selon un critique, et qui meurt à la fin de l’histoire après avoir brûlé ses toiles. Ce qui ne ressemble guère à Picasso ! Certes, la nouvelle balzacienne évoque les affres de la quête de la perfection artistique, mais c’est aussi un drame amoureux qui s’y joue, celui de l’artiste et de l’amour, de la maîtresse et du modèle. D’autres thèmes ayant grandement préoccupé l’Espagnol…Où l’on se rend compte que Picasso, dans son renouvellement permanent, a en quelque sorte dédramatisé la notion romantique de chef-d’œuvre comme quête tragique de l’œuvre absolue.

Pour qui n’a jamais fréquenté le musée Picasso de Barcelone, la seconde salle consacrée à Science et Charité provoque une certaine émotion. Cette toile de facture académique, restaurée l’an dernier et jamais montrée à Paris, est le premier jalon de la légende de Picasso qui la peignit à seize ans et lui valut ses premiers lauriers. Le peintre l’a d’ailleurs conservée jusqu’en 1970 où il en fit don au musée barcelonais. Si Les Demoiselles d’Avignon sont absentes, la tapisserie de Jacqueline de la Baume-Dürrbach qui s’est inspirée (1958) du tableau est bien exposée. Picasso possédait un des trois exemplaires et s’amusait à dire qu’elle était plus réussie que l’original ! Autour du tableau absent, les carnets d’études, les dessins, les photos et lettres font mieux pénétrer dans la genèse de l’œuvre, dans sa réception critique ; les frémissements de son extraordinaire destinée. Une lettre d’André Breton au couturier Jacques Doucet, à qui il fit acheter en 1924 ce tableau peint en 1907, constitue sans doute le premier signe de la naissance d’un chef-d’œuvre.

Ce simple courrier fait partie des éléments, comme un peu plus loin la salle dédiée à Josep Palau I Fabre, collectionneur, biographe et ami de Picasso, qui révèlent l’intention de l’exposition de montrer au fil de son parcours l’évolution du concept de chef-d’œuvre, pour Picasso en particulier comme pour l’art en général, à travers la préparation, le dévoilement, la réception et le commentaire des œuvres de Picasso tout au long du siècle dernier. Cela passe également par l’acharnement créatif que Picasso a mis dans ses séries, que ce soit l’archétypal Arlequin à travers trois toiles de 1923 ici rassemblées (Arlequin au miroir du musée Thyssen-Bornemisza de Madrid, Arlequin assis du musée de Bâle et Le peintre Salvado en Arlequin du Centre Pompidou). Ou encore dans les trois Baigneuses de 1937 ; ces trois toiles provenant elles aussi de trois collections différentes.

À travers d’autres toiles emblématiques comme La Danse de 1925 ou neuf œuvres du dernier Picasso entre 1969 et 1972, le grand collage des Femmes à leur toilette (1937-1938), mais aussi des sculptures, des objets, les lithographies pour Le Chant des morts de Reverdy (1948) -dont sont montrées certaines pierres matrice-, et à travers époques, formes et techniques successives, jusqu’à l’épilogue de la confrontation avec Rembrandt, l’exposition contextualise l’œuvre de Picasso en s’efforçant de déchiffrer le mystère du chef-d’œuvre.
Dans cette vertigineuse « relecture » de l’œuvre picassienne, qui ne peut manquer d’impressionner même ceux qui ne manqueront pas de dire « Encore Picasso ! », on se délecte aussi des photos de Dora Maar, Brassaï ou Duncan, ces documents précieux qui font aussi partie de l’œuvre et peut-être aussi de la « fabrication » du chef-d’œuvre…

Jean-Michel Masqué

Visuels page expo : Pablo Picasso, Arlequin au miroir. Paris,1923. Huile sur toile,100 x 81 cm. Musée National Thyssen Bornemisza, Madrid. © Museo Nacional Thyssen Bornemisza/Scala,
Florence. © Succession Picasso 2018.
Pablo Picasso, La Baignade. Paris, 1937. Huile, crayon et craie sur toile, 129.1 x 194 cm. Collection de la Fondation Peggy Guggenheim, Venise, Solomon R. Guggenheim Foundation, New York. Photo de David Heald © Succession Picasso 2018.
Pablo Picasso, Le Petit cheval. Vallauris, 1960. Éléments de table à roulettes en métal coupés, assemblés et peints, 66.5 × 18 × 60.5 cm. Fundación Almine y Bernard-Ruiz. Picasso para el arte 93000 © Succession Picasso 2018.
Pablo Picasso, Ecce Homo, d’après Rembrandt, 4e état. Mougins, mars 1970, eau-forte, 49,6 x 41,5 cm. Musée national Picasso-Paris. Dation Pablo Picasso, 1979, MP3095 © Succession Picasso 2018.

Archives expo à Paris

Visuels de l'artiste
Infos pratiques

Du 4 septembre 2018 au 13 janvier 2019
Musée national Picasso-Paris
5, rue de Thorigny - Hôtel Salé (3e)
Tous les jours sauf le lundi de 10h30 à 18h
(9h30-18h le week-end et les vacances scolaires)
Plein tarif : 12,50 €
Tél. 01 85 56 00 36
www.museepicassoparis.fr

 

 À voir aussi Picasso dans sa période Bleue et Rose, celle de ses premières années à Paris, fondatrices de son œuvre. Musée d’Orsay, du 18 septembre 2018 au 6 janvier 2019. Lire l’article.